10 août [1837], jeudi matin, 8 h.
Bonjour cher bien-aimé, comment va ta pauvre tête ? Moi je vais bien quoique… Mais non, je vais bien. Je veux aller bien, aussi ça ne vous regarde pas. Je me dépêche à vous écrire parce que je veux vous savonner moi-même vos chaussettes pour leur donner le temps de sécher avant la fermeture du sac de nuit, et puis, j’ai encore tant de choses à faire que je crains vraiment de n’en avoir pas le temps. Jour, mon cher petit o. Demain à cette heure-ci nous seront bien heureux et bien partis. QUEL BONHEUR ! Oh oui ! Quel bonheur ! Quel bonheur, et bien impatiemment attendu ! S’il me fallait y renoncer à présent, je ne sais pas ce que je deviendrais. Hier, quand je faisais la brave à propos de Joly, c’était pour voir ce que tu allais dire. Mais si tu avais manifesté le moindre désir de rester, tu m’aurais vue dans une belle colère et dans un fameux désespoir [1]. Voilà comme je suis, moi. Jour mon gros to. C’est bien gentil à moi de vous écrire au milieu de toutes les occupations sans nombre qui m’attendent et me heurtent. Je vous aime mon Victor adoré et vous vous en apercevreza en voyage. En attendant je baise tous vos cheveux un à un.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16331, f. 162-163
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « appercevrez ».
10 août [1837], jeudi après-midi, 3 h. ½
Je suis prête depuis plus d’une heure, mon cha.
Jeudi soir, 8 h. ½.
Cher bien aimé, je n’ai pas perdu une minute. J’ai réussi à tout faire tenir dans le cabas et dans le sac de nuit et puis je t’aime plus que jamais. Je m’attends à voir ton beau visage triste ce soir et demain. Je ne t’en veux pas, au contraire, mais je te prie de me pardonner si ta tristesse déteint sur moi. Je ne peux pas être gaie quand tu es triste, c’est tout simple. Aussi voilà qui est convenu, nous serons tous les deux tristes comme des bonnets de nuit tout le temps que tu voudras. Tu penses bien, mon cher adoré, que si ton chagrin était plus sérieux et plus profond, je ne me permettrais pas cette espèce de badinage bête, mais je sais très bien que je rapporterai à ma chère petite [Die-Die ? / Dée-Dée ?] [2] son petit papa sain et sauf et plus joli et meilleur encore qu’avant. Aussi, aussitôt que le petit nuage gris aura disparu de votre horizon, mon cher petit o, je crierai de tous mes poumons : QUEL BONHEURb ! J’ai fini tous mes comptes et tous mes arrangements. Je me délasse en t’écrivant. La bonne met le couvert. Il est déjà 8 h. ¾. Je m’attends à ce que nous nous coucherons sur les minuit. Tant mieux. Nous n’en sentirons que plus longtemps notre bonheur. J’ai une visite, c’est-à-dire une carte d’un certain Mignon. Tu la verras et je te dirai qui je pense que ce peut être. Et puis je t’aime, et puis je baise tes petitsc… pieds [3].
Juliette
BnF, Mss, NAF 16331, f. 164-165
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) Phrase interrompue.
b) Ces deux mots couvrent à eux seuls toute la ligne.
c) Ici Juliette a dessiné en tout petit un pied (avec cheville et mollet) :
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