21 janvier 1861

Guernesey, 21 janvier 1861, lundi matin, 9 h.

Bonjour, mon adoré bien-aimé, bonjour avec toutes les tendresses et tous les sourires de mon cœur et de mon âme. Bonjour avec toute la joie et tout le bonheur que je puisse éprouver si, comme je l’espère, tu as passé une bonne nuit et si toutes tes petites souffrances ont disparu^a complètement. Quant à moi, je vais très bien, trop bien même puisque je ne peux pas te céder de ma santé à aucun prix. Ce n’est pas la première fois que je proteste tristement contre le veto de la providence sur ce véritable LIBRE ECHANGE de deux êtres qui s’aiment au point de souffrir davantage des maux de son compagnon d’amour que des siens propres. Mais toutes mes protestations, toute ma sollicitude et toutes mes prières ne changent rien à cette immuable loi d’égoïsme forcé et ne t’épargnent pas le plus petit bobo. La résignation ou la révolte n’y apporte aucune modification. Tout ce que je peux faire c’est de t’aimer d’autant plus que je sens que tu souffres et Dieu sait de quelle façon mon cœur s’acquitte de ce devoir. Tu ne seras pas étonné de te retrouver installé dans la salle à manger tantôt, mon cher petit homme, car c’est ce soir CIDRE [1] et j’ai Marie la couturière. Cela ne m’empêche pas d’avoir du feu dans ma chambre en ce moment et jusqu’à une heure après-midi. Tu vois que de cette façon je concilie toutes les hygiènes en ménageant MON BEAU TAPIS. Oui, c’est vrai, fichez-vous de moi si vous voulez, pourvu que vous m’aimiez, cela m’est égal. Attrapé^b !

BnF, Mss, NAF 16382, f. 20
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette

a) « disparues ».
b) « attrappé ».