Guernesey, 5 mai [18]63, mardi matin, 8 h.
Bonjour, bonjour et rebonjour, mon adoré bien-aimé, des yeux, du cœur et de l’âme. Profitons de notre reste de voisinage pour nous en donner de toutes sortes. Hélas, dans peu de temps, toutes ces douces communications [1] de tendresse ne nous seront plus permisesa que par la pensée mais jusque là jouissons sans compter de tous nos moyens télégraphiques. Tu me parais avoir passé une bonne nuit, mon cher petit homme ? Mais il en serait autrement que je ne le saurais pas car tu n’es pas homme à me le laisser entrevoir de loin. C’est donc par l’espérance et par le désir que je crois que tu as bien dormi. Je n’en serai vraiment sûre que lorsque je t’aurai vu, touché, baisé et rebaisé. En attendant je t’aime à réveiller un mort. Quant à moi, je n’avais pas encore fermé les yeux à minuit etb demi et je croyais passer une nuit entièrement blanche mais il en a été tout autrement et j’ai dormi depuis une heure du matin jusqu’à 6 h. ½ sans désemparer. Tu vois que je n’ai pas à me plaindre. Je me porte à merveille ce matin, et si de ton côté tu n’as aucune souffrance, je remercie Dieu de toute mon âme. Si tu dois voir Martin aujourd’hui il faudrait lui parler de l’état du fourneau de la cuisine, des vitres cassées etc. etc. Peut-être y aurait-il une visite des lieux à faire soit avec lui soit avec Domaille [2]. Tu jugeras de l’opportunité de cette démarche collective, tout ce que tu feras sera toujours le mieux pour moi. Je t’aime.
J.
BnF, Mss, NAF, 16384, f. 117
Transcription de Chantal Brière
a) « permise ».
b) Juliette écrit « à demi ».