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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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22 novembre [1844], vendredi matin, 10 h. ½

Bonjour, mon Toto adoré, bonjour, mon cher petit Toto, bonjour je t’aime et je te baise bien fort. J’ai bien mal à la tête mon Toto chéri et j’ai eu bien mal à l’estomac toute la nuit. Il faut que je m’interdise de goûter à vos poires désormais. Vous n’en serez pas autrement fâché, mon cher petit gueulard : à propos de fâché je crois que je ne suis pas loin de l’être contre vous si, comme je le crains, vous avez donné ma petite chaîne [1] ? Si vous ne l’avez pas donnée je ne comprends pas pourquoi vous n’aimez pas mieux la porter ou me la laisser porter, quitte à vous la rendre quand vous la voudriez, que de la laisser dans le fond d’un tiroir. Cette bizarrerie déraisonnable ne peut s’expliquer que dans le cas où vous l’auriez donnée. Il faudra que j’en aie enfin le cœur net et que je sache au juste à quoi m’en tenir. Il serait bien ridicule que je n’aie rien à moi que je ne sois prête à vous donner et qu’il n’en fût pas de même de vous. Cela me ferait un véritable chagrin, non pour la chose en elle-même, mais pour sa signification. Quand on s’aime vraiment tout doit être commun c’est même la plus douce chose de l’amour. Si c’est pour me taquiner, ce qui n’est pas du tout incroyable, tu y as parfaitement réussi ! Et je te pardonne à la condition que tu me donneras droit de vie et de mort sur tout ce qui t’appartient comme je te l’ai donné depuis le premier moment où je t’ai aimé sur moi et sur tout ce que je possède. Donne-moi de quoi que t’as je te donnerai de quoi que j’aurai doit être l’article fondamental de notre charte. Je sais bien qu’il y a des modifications dans le genre de celle-ci : chacun garde qu’est-ce qu’il a mais c’est une politique indigne de vous et de moi. Sur ce baisez-moi et ne voyez dans mon exigencea que l’amour qui est le fond de toutes mes actions, de toutes mes pensées et de toute ma vie. À bientôt cher amour dépêche-toi de venir je t’aime et j’ai besoin de te le dire dans des millions de baisers.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16357, f. 79-80
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette

a) « exigeance ».


22 novembre [1844], vendredi soir, 4 h. ¼

Si tard venu et si vite parti, mon cher adoré, est-ce juste ? Cher amour je ne me plains pas de toi mais du sort. Et comment oserais-je me plaindre de toi quand je te vois sans cesse travaillera et n’avoir pas une minute de répit et de repos ? Ce n’est donc pas de toi, pauvre ange, dont je me plains mais de celui qui peut tout et à qui il n’en coûterait pas davantage de nous faire riches, c’est-à-dire de nous donner du loisir, c’est-à-dire de nous donner du bonheur. Aussi je lui fais, de lui à moi, de sanglants reproches ce qui ne paraît pas jusqu’à présent lui avoir fait une profonde impression. Il n’en est pas de même de l’affreuse odeur de peinture et d’essence qui infecte ma maison. Je suis comme une pauvre folle depuis tantôt. J’aimerais mieux, à choisir, avoir le nez dans une tinette que sur un seaub de peintre. Le premier n’est que révoltant, le second vous tue tout bonnement. Si je pouvais déserter la maison je le ferais avec enthousiasme ce soir pour fuir cette horrible odeur. Cependant si tu étais avec moi, et que cela ne te fasse pas de mal, je crois que je ne sentirais plus rien que mon bonheur, calembourc à part ! Tâche donc de ne pas tant travailler, mon petit bien-aimé adoré pour venir ce soir de bonne heure. Je serai si heureuse !!!!

Juliette

BnF, Mss, NAF 16357, f. 81-82
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette

a) « travaillé ».
b) « sceau ».
c) « calembourg ».

Notes

[1Cette chaîne va revenir en leitmotiv dans les lettres des 23 et 27 novembre au soir jusqu’à ce que Juliette écrive, triomphante, dans sa lettre du 28 novembre au soir : « Je me suis déjà parée, sinon emparée de votre chaîne. J’y ai suspendu votre ravissant petit médaillon qui fait très bien à mon cou. »

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