Guernesey, 1er décembre 1858, mercredi matin, 8 h
Bonjour, mon grand, mon doux, mon bon, mon ineffable bien-aimé adoré, bonjour. Comment as-tu passé la nuit, mon pauvre petit homme ? Ton rhume t’a-t-il laissé un peu tranquille ? J’attends de tes nouvelles avec impatience. Je regrette de n’avoir pas songé au voisinage du 2 décembre pour prendre possession de ta glorieuse écharpe [1]. L’anniversaire de cette date criminelle qui ajoute un chevron de plus à ton courageux exil, ne pouvait qu’augmenter les souvenirs pieux et attendrissants que j’attache à cette écharpe, témoin de ton dévouement et de mes terreurs. Je n’y ai songé que tout à l’heure en écrivant la date de mon gribouillis. C’est un très petit malheur mis en regard du grand bonheur et du grand honneur que tu m’as fait en me CONFIANT la garde de ce glorieux dépôt ma vie durant, aussi je ne m’en afflige pas outre mesure [2]. Pourvu que tu ailles bien ce matin et que ton rhume batte en retraite. Je suis heureuse et je remercie Dieu avec effusion et reconnaissance. Rosalie vient de venir apporter à Suzanne une salade de mâchea et de cerfeuil tout-à-fait belle. Je pense que ce n’est pas à l’insu des maîtres de la maison qu’elle nous fait cette galanterie, ce qui au lieu de me faire plaisir me désobligerait extrêmement. En attendant que cela s’explique, je lui ai fait dire merci et je te le répète dans un baiser.
Bnf, Mss, NAF 16 379, f. 334
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette
a) « mâches ».