Vendredi, 9 h. du soir
Je ne sais plus au juste maintenant qui est le vrai coupable de nous deux. Tout ce que je sais, c’est que je t’aime, que je souffre de la manière froide et mécontente dont nous nous sommes quittés, que je donnerais tout au monde pour t’avoir là, pour te gronder ou te demander pardon. Peua importe pourvu que nous soyons tous les deux dans les cœurs l’un de l’autre. Je suis triste de ton absence, je suis triste de ta froideur, je suis triste de mon mauvais caractère. Je suis triste des mille et une contrariétésb qui viennent se placer d’elles-mêmesc entre toi et moi –Par exemple, il est évident que Mme Lanvin est fort triste et fort ennuyée de son séjour à la campagne, qu’elle craint que ses intérêts ne se trouvent compromis plus tard – Du moins, c’est là ce que j’ai crud démêler dans sa conversation de ce soir. Ensuite, des lettres de demandes d’argent pour des achats clandestins faits il y a trois mois. Quand tous ces chagrins, tous ces ennuis viennent se joindre à une tristesse de cœur, je suis tentée de m’enfuir dans l’espace comme si une féroce comète m’avait attirée vers elle. Je suis bien à plaindre. Je ne sais pas si je ne ferai pas quelques extravagances.
Je t’aime : que fais-tu à présent ? Tu ris, tu t’amuses, eh bien, sois heureux, dors bien. Bonsoir.
BnF, Mss, NAF 16322, f. 282-283
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « [peut ?] ».
b) « contrariétées ».
c) « même ».
d) « crue ».