Guernesey, 9 septembre 1858, jeudi matin, 6 h. ½
C’est moi, mon bien-aimé, ne te réveille pas sous mon baiser matinal. J’espère que tu as passé une bonne nuit malgré la fatigue de ton opération et les petites agitations de la journée ? Agitations dont quelques-unes ont dû t’être agréables comme témoignages d’admiration et de vénération pour ton génie et pour ton grand caractère. Aussi, avec ta permission, je garde la petite dépêche télégraphique [1] qui me deviendra doublement précieuse quand tu y auras ajouté ta réponse et le don que tu m’en fais. En attendant, je constate que je t’aime et que je n’ai de joie et de bonheur qu’en toi et par toi. Je constate encore avec plus de regret que d’étonnement que la bouteille de vin qui te fait quatre ou cinq repas a disparu presque toute entière dans les profondeurs de l’outre Quesnard. Je ne m’en plains pas autrement et je le plains encore moins de s’être livré à cette petite satisfaction indiscrète surtout s’il n’en doit pas prendre l’habitude. Cette remarque faite, je me hâte de te donner mon cœur pour me livrer au ménage à fond. Toi, pendant ce temps-là, tâche de prendre de la santé, des forces et de l’amour pour que nous usions à âme que veux-tu ? Sur ce baisez-moi et dormez.
Bnf, Mss, NAF 16379, f. 257
Transcription d’Anne-Sophie Lancel, assistée de Florence Naugrette