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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 septembre [1844], mercredi matin, 11 h. ¾

Bonjour, mon petit Toto adoré, bonjour, mon doux, mon naïf, mon charmant bien-aimé, bonjour, je vous aime. Comment vas-tu ce matin, mon cher petit homme ? As-tu dormi au moins ? Tu comptes trop sur tes forces et sur ton courage, mon Victor chéri, il faut te reposer de temps en temps pour conserver cette force, ce courage et cette jeunesse exubérante que tu as en toi. Et puis, mon amour, il ne faut pas donner tout ton loisir aux princesses russes, aux somnambules, etc., etc. Il faut m’en donner un peu aussi à moi, n’est-ce pas, mon adoré, que c’est juste ?
Voici le temps remis au beau, mais ça n’est pas pour notre fichu nez. Du reste, je me suis servie déjà de l’argent de la partie de campagne avant de t’en avoir demandé la permission parce que j’étais sûre d’avance que tu m’approuverais. C’est aujourd’hui le mois de Suzanne. Je l’ai payé sur les 30 F. que tu m’avais donnés pour notre promenade. Je lui ai donné 26 F. 10 s. Tu vois d’ici ce qui reste. Je tâcherai tantôt de faire mes comptes d’août. Une fois que je suis en retard pour ces vilains comptes, je ne peux plus me rattraper.
Jour Toto, jour mon cher petit o. Je vais me faire somnambule pour savoir tout ce que vous faites et où vous êtes toujours. Ce sera joliment vénimeux. Prenez garde à vous maintenant, ce ne sera plus de la farce, je vous verrai pour de bon. En attendant, baisez-moi, et aimez-moi comme si j’étais la plus clairvoyante des amoureuses et venez me voir bien vite. Je vous attends.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16356, f. 163-164
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette


18 septembre [1844], mercredi soir, 17 h. ¾

Je viens de penser, mon cher amour, que je ne t’avais pas fait laver les yeux et cela me contrarie on ne peut pas plus. Pauvre ange adoré, je ne suis même pas bonne à te faire penser à cela : décidément je suis une vieille bête inepte et absurde que je déteste. Tu n’auras sans doute pas de Bernard ni de somnambule ce soir ? Tu serais bien gentil de venir de bonne heure. Je t’assure que je ne suis pas très drôle en tête à tête avec cette pauvre Clarinette [1] et qu’elle doit éprouver, à part elle, le besoin de retourner, sinona à Saint-Denis, du moins à Saint-Mandé ! Ainsi, par pitié pour elle et surtout pour moi, tâche de venir bien vite nous faire ENRAGER, tu nous feras plaisir.
Que dites-vous de mon succès, mon cher petit homme ? J’espère que je suis une gaillarde favorisée des dieux et de Mlle Celeste Féau ! Hum ! La scélérate, si je n’avais pas le vague espoir de la faire servir à faire le bonheur de Claire, je serais assez féroce pour lui dire que je n’aime pas à avoir tant de succès et encore moins de lettres de vieilles péronnelles [rococot  ?]. Du reste, je n’ai pas le droit de me moquer des autres, moi, ni pour la jeunesse, ni pour l’esprit, ni pour rien du tout car je deviens de jour en jour plus bête et plus stupide qu’une vieille portière fossileb. Je ne sais pas à quoi cela tient mais cela n’est malheureusement que trop vrai. Baise-moi tout de même, mon Toto, et aime-moi malgré cela. Ce sera justice puisque je t’aime, moi, plus que ma vie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16356, f. 165-166
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette

a) « si non ».
b) « fossille ».

Notes

[1Juliette attribue ce surnom à sa fille Claire.

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