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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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2 juin [1837], vendredi, 1 h. ½ après midi.

Mon cher petit bien-aimé, je me suis souvenue tout à l’heure que mon père partait demain à 8 h. 20 m [1]. et qu’il n’y avait pas de temps à perdre pour lui envoyer quelques troubilles [2] que tu m’as données. Je viens donc d’envoyer un commissionnaire avec une lettre et un paquet. Je n’ai pas cru devoir t’attendre pour cela comme c’était pressé. Je vous aime mon Toto adoré, je vous aime de toutes mes forces. Vous êtes un bon et charmant petit homme. Je ne sais qui me retient de vous donner le beau vase [dessina]. Ceci est assez artiste, il me semble, et me dispense d’en dire plus [3]. Vous voyez bien que vous vous moquez encore de moi. Vous en êtes témoin. C’est égal, je vous aime, et quoi que vous fassiez je vous aimerai toujours. Je voudrais bien que l’affaire théâtre fût décidée. Peut-être cela me donnerait-il quelques jours de bonheur, ce qui ne serait pas inutile vu l’état des choses et du cœur. Mais nous sommes si peu chanceux qu’il est plus que probable que rien ne sera décidé avant cet hiver [4], auquel cas la saison ne nous permettra pas de sortir de chez nous. C’est bien triste à penser et plus triste encore à supporter. Cependant j’ai bien du courage mais j’en ai moins que d’amour. Je ne m’en défends pas car je vous aime comme une pauvre folle que je suis.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16330, f. 253-254
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) Dessin du vase :

© Bibliothèque Nationale de France

2 juin [1837] [5], vendredi soir, 8 h. ½

Cher petit homme, c’est aujourd’hui le cas de m’aimer ou jamais. Comparez ma vie à la vôtre, et voyez si je ne mérite pas que vous me plaigniez et que vous m’aimiez de toutes vos forces. Je suis toute seule, moi. Je n’ai pas la famille, la gloire et toutes les autres distractions qui vous entourent. Moi, je vous le répète, je suis seule, toujours seule. Il paraît même que je ne vous verrai pas ce soir et que vous passez votre soirée à festiner, à causer et à visiter votre oncle [6] que le DIABLE emporte. Tout le monde vous a excepté moi. L’exception est flatteuse et surtout très heureuse. Je suis si triste que je vais me coucher et pleurer peut-être, car j’en ai plus envie que de rire. Si vous réussissiez à me rendre joyeuse ce soir, je reconnaîtrais que vous êtes un grand homme et un plus grand Sorcier. Mais vous ne l’essaiereza même pas. Aussi je peux être triste et malheureuse à mon aise, je suis bien sûre que vous ne me dérangerezb pas. Soir Toto. Je vais me coucher. Soir, soyez bien heureux, soyez bien gai et bien content, votre pauvre Juju sera bien malheureuse et bien à plaindre pour deux. Je vous aime Toto.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16330, f. 255-256
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
[Guimbaud]

a) « essayrez ».
b) « dérangerai ».

Notes

[1Juliette fait allusion à son oncle, René-Henry Drouet, son « père de cœur », qui lui a rendu visite dans la seconde quinzaine de mai.

[2Métathèse pour « broutilles ».

[3Il sera de nouveau question de ce vase dans la lettre du 9 juin au matin. Dans celle du 23 juin après-midi, un vase sera également évoqué, sans que l’on puisse déterminer avec certitude s’il existe un rapport, ne serait-ce que par un jeu d’assimilation imagée, entre les deux objets. Il n’est pas impossible que Juliette fasse ici allusion à un cadeau attendu que doit recevoir Victor Hugo.

[4L’allusion peut concerner deux questions différentes qui, à cette époque, préoccupent Hugo et Juliette. D’une part l’auteur est en procès avec la Comédie-Française (il n’obtiendra gain de cause qu’en décembre) ; d’autre part, il peut s’agir du projet d’un « Second Théâtre-Français » que Victor Hugo n’est pas le seul à appeler de ses vœux : lui, Dumas père et Casimir Delavigne ont envoyé dans ce sens une requête au ministre de l’Intérieur en octobre 1836, suite à quoi un privilège a été accordé à Anténor Joly. Au printemps 1837, celui-ci projette de faire bâtir une salle rue de Richelieu mais il essuie un refus. Ce qui deviendra le Théâtre de la Renaissance est donc toujours en pourparlers au moment où Juliette écrit sa lettre. C’est en décembre 1837 qu’Anténor Joly se résoudra à louer la salle Ventadour et y fera pratiquer des travaux, avant l’ouverture des portes avec Ruy Blas, le 8 novembre 1838.

[5Louis Guimbaud publie cette lettre en la datant erronément du 12 juin.

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