Guernesey, 13 juin 1858, dimanche matin, 7 h. ½
Bonjour, mon bien-aimé, bonjour toutes voiles dehors ou tout amoureux dedans. J’ai passé une très bonne nuit malgré ma stupide crise de la montée des Cornets [1] ce qui prouve que tu as raison quand tu affirmes que tout ce mal enragé n’a aucune importance, au CONTRAIRE, que c’est [l’écrou ?] qui retient la vie au corps, ce que je ne me refuse pas de croire jusqu’à ce que mort s’en suive. Jusque-là, je crains de t’ennuyera bien souvent en te demandant des services comme celui d’aujourd’hui ; cependant Dieu sait que c’est à mon cœur défendant et que rien ne me coûte plus (sans équivoque cette fois) que de te demander quoi que ce soit qui te déplaît et qui te contrarie à faire ou à donner. Il faut que je sois bien convaincue de la nécessité de la chose et de mon impuissance à la faire moi-même pour t’obséder et forcer ta répugnance. Encore ce petit coup de plume aujourd’hui, mon petit homme, et je te promets de te laisser bien longtemps tranquille car je n’ose pas engager ma discrétion à tout jamais. J’espère que tu as pensé à prévenir chez toi que tu dînais chez Préveraud aujourd’hui, mon bien cher petit homme ? J’espère aussi qu’on ne s’en étonnera pas et que la présence très fugitive des deux femmes dans cette maison suffira pour expliquer et pour justifier ton infraction au dîner de famille. En attendant que tu m’apportes ta belle bouche à baiser, je t’embrasse de l’âme et de tout mon patraque de cœur.
BnF, Mss, NAF 16379, f. 126
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette
a) « t’ennuier ».