15 février [1849], jeudi matin, 11 h.
Mon enthousiasme continue encore, mon amour, et de plus fort en plus fort. Je suis sous le charme d’un bonheur inattendu et désiré depuis trop longtemps. Je ne m’attendais pas que le dîner de Mme Guérard aurait une si belle fin. Aussi, ma joie et ma surprise ne sont-elles pas encore calmées. Si ce phénomène doit se reproduire chaque fois que vous dînerez chez la mère Guérard, je vous mets en pension bourgeoise chez elle dès ce soir. Mes moyens me le permettraient quand je devrais vendre mes champignons et mes encoignures, voire même mes têtes de loup. Je ne tiens plus à rien dès qu’il s’agit de vous bien nourrir et de vous mettre à même de faire tous les travaux d’Hercule. Très sérieusement je suis prête à faire tous les sacrifices du monde pour perpétuer votre présence dans les chambres : celle du pays et la mienne, qui est encore plus nationale que l’autre. Cependant il ne faut pas que mon bonheur aille jusqu’à me rendre imbécilea, ce qui ne serait pas difficile si j’en juge par ce gribouillis. Je m’arrête pour reprendre mes esprits et vous laisser le temps de respirer d’une stupidité à l’autre. Cher adoré bien-aimé, je m’efforce encore de cacher mon ravissement sous une joie grossière, parce que le bonheur a sa pudeur comme le corps, mais au fond je suis en adoration devant ton amour et je t’aime avec tout ce que j’ai de meilleur dans le cœur et dans l’âme encore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16367, f. 9-10
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse
a) « imbécille ».