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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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12 juin 1858

Guernesey, 12 juin 1858, samedi soir, 5 h. ¾

Je te conduirai chez Duverdier quand tu voudras, mon cher bien-aimé, et partout ailleurs si le cœur t’en dit et si ton raout du samedi te le permet. Quant à moi, j’ai des pieds et des pattes capables de jouter à la course avec tes jambes de sept lieues. En attendant, il vient de me tomber dans la main tout à l’heure, en rangeant MES PAPIERS, ta dernière lettre à Lamartine, ce doux précurseur de Judas Leroux [1]. C’est étonnant comme ces deux trahisons se ressemblent pour le fond, sinon par la forme. C’est le même point de départ. Jalousie littéraire, jalousie politique, jalousie de l’égoïsme contre le sacrifice et l’abnégation, jalousie de l’impuissance contre la force, jalousie du laid contre le beau, jalousie du mal contre le bien, du lampion contre l’étoile, toutes ces basses jalousies, mêlées et fondues dans le creuset des méchants cœurs et des envieux, produisent les choses hideuses que nous voyons et qui révoltent toutes les âmes simples et honnêtes comme la mienne. Pardonne-moi de laisser déborder mon indignation que je ne puis pas contenir et de garder si peu de place pour toutes les tendresses de mon cœur. Une autre fois, je serai plus ménagère de mon papier et de ma colère. En attendant, je baise ton beau divin front sous les épines qui le déchirent et je t’adore à genoux.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16379, f. 125
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette
[Massin]

Notes

[1Leroux vient de glisser une perfidie contre Hugo dans L’Espérance. Hugo lui écrit, et note dans son carnet, le 9 juin : « Reçu la réponse de Pierre Leroux. Ignoble ». Juliette retrouve la lettre que Hugo a écrite le 6 mai 1857 à Lamartine, après avoir lu dans son Cours familier de littérature une condamnation voilée des Châtiments  : « le satiriste sanglant est le bourreau des renommées ; il jette au charnier les noms dépecés de ses ennemis littéraires ou de ses ennemis politiques. Ce n’est pas le métier des immortels. Ce sont là de ces gloires dont on se repent ; il faut se les refuser, sinon par respect pour ses ennemis, du moins par respect pour soi-même. » Dans le billet daté du 6 mai 1857, Hugo met Lamartine au pied du mur, en affirmant que « les amitiés de trente-sept ans doivent durer ou finir par la franchise », et lui demande si « oui ou non » il s’en est pris à Châtiments. La réponse de Lamartine, le 9 mai 1857, où il proteste de son admiration, est passablement embarrassée. [Remerciements à Jean-Marc Hovasse].

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