7 février [1845], vendredi soir, 8 h.
Je ne veux pas être triste. Je ne le veux pas absolument. Je me le défends le plus que je peux et je me commande de toutes les forces d’être gaie. Malheureusement, je ne suis pas d’une nature très docile et je m’obéis médiocrement. Cependant, mon cher adoré bien-aimé, je sens combien il serait injuste de faire rejaillir jusqu’à toi mes tristesses indomptables, à toi, pauvre ange de dévouement, de douceur et de générosité. Pour cela, il faut que j’oublie que tu m’as menacée de ne pas venir ce soir. Il faut que je tâche, au contraire, de me persuader que je te verrai tout à l’heure. Hélas !... Dieu sait si c’est facile. Enfin je fais de mon mieux et je te souris, et je te baise, et je te caresse, et je t’aime en pensée, en désirs et en adoration. J’espère que tu viendras, mon Victor chéri, le bon Dieu me doit bien cela pour le courage et la résignation dont je fais preuve en ce moment-ci.
Cher petit homme adoré, tu as vu combien tous les arrangements que tu as indiqués ont réussi. C’est charmant de tout point. Eh ! comment cela ne le serait-il pas, puisque c’est toi qui les as dirigés ? Je serais la plus heureuse des femmes si tu étais là pour les admirer avec moi. Mais toute seule, c’est un plaisir bien CHESSE.
J’espère, car il faut toujours que j’espère, que le 27a passé [1], tu seras à moi enfin et que nous pourrons être heureux à discrétion dans notre charmant petit logis. En attendant, je t’adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16358, f. 79-80
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « 27 » est souligné deux fois.