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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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13 août [1848], dimanche matin, 8 h.

Bonjour, mon Victor adoré, bonjour mon cher bien-aimé, bonjour, en tout et pour tout ; je te baise autant qu’il y a de jours dans l’année, d’heures dans les jours, de minutes et de secondes dans les heures, de grains de sable dans la mer et d’étoiles au ciel.
Après t’avoir quitté hier je revenais tristement dans l’omnibus lorsque mes yeux ont rencontré sur un mur l’affiche de la Porte Saint Martin qui annonçait Ruy Blas pour le soir. Te dire tout ce que cette affiche a réveillé en moi de guignons endormis, de déceptions rentrées, d’amères ironies serait impossible. Qu’il te suffise de savoir qu’à dater de ce moment-là le mal de tête m’a prise et ne m’a plus quittée et que dans ce moment-ci encore je suis comme une pauvre bête enragée. Pour peu que tu ne viennes pas ou que tu ne fasses qu’entrer et sortir je ne sais pas ce que je deviendrai. En attendant je pense à toi avec le plus doux, le plus tendre et le plus ineffable sentiment d’admiration, de dévouement et d’adoration et je prie de bon Dieu de détourner de toi toutes les mauvaises choses de la vie.

Juliette

Maison de ventes Cortot-Vregille-Bizouard, Dijon 15 avril 2015, n° 9 (expert Thierry Bodin)
Transcription d’Evelyn Blewer


13 août [1848], dimanche matin, 11 h. ½

Le temps est affreusement couvert mais j’espère que cela ne m’empêchera pas de te voir et je compte sur les torrents de pluie pour me débarrasser un peu la tête. En attendant je t’ai fait de l’eau de pavots pour tes pauvres yeux adorés. Comment vont-ils ? Est-ce qu’ils ne s’aperçoivent pas que cette eau leur manque tous les jours ? Tant mieux cela prouverait que tu n’en souffres plus et j’en serais bien heureuse. À propos d’heureuse as-tu vu enfin cette malheureuse femme que je t’ai envoyée ? Il paraît que le portier ne l’aurait pas laissée monter chez toi hier matin. C’est tout une histoire que je te dirai si tu as le temps de l’entendre. Je sais qu’elle doit retourner chez toi ce matin mais je crains qu’il ne soit plus temps et que son fils ne soit jugé. Du reste ce ne sera pas la bonne volonté de lui venir en aide qui lui aura manqué, car tu t’y étais prêté avec ta bonté et ta générosité habituelles, c’est que le bon Dieu ne l’aura pas voulu [1].
Je ne te dis rien de ma soirée d’hier. Qu’il te suffise de savoir que je me suis ennuyée cruellement et que sans la bienséance je me serais en allée tout de suite ou plutôt je n’y serais pas allée du tout à ce stupide Marceau [2].
J’espère bien en être quitte maintenant pour bien longtemps de tous ces mauvais mélodrames.
Dans cet espoir je te redemande ma culotte avec acharnement, je te baise et je t’aime de même.

Collection Anne-Marie Springer
Transcription de Charles Méla

Notes

[1Pendant l’été 1848, après les émeutes de juin, Victor Hugo intervient en faveur de nombreux insurgés inquiétés par les autorités. Juliette Drouet est souvent prise comme intermédiaire par les gens du peuple pour accéder au grand homme.

[2La veille, Juliette s’est rendue à Marceau ou les enfants de la République d’Anicet-Bourgeois et Masson, créé à la Gaîté le 22 juin 1848. Cette pièce sur la Révolution française, comme il s’en est joué beaucoup en 1848, a pour héros le général révolutionnaire Marceau.

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