23 avril [1846], jeudi après-midi, 3 h.
Cette fois, mon doux aimé, je n’ai pas été assez matinale et Mme Luthereau est arrivée au moment où j’allais t’écrire, ce que voyant, j’ai remis au tantôt pour te gribouiller mon petit fouillis quotidien. Claire vient de se réveiller de son long sommeil. Elle n’est rien moins que gaie, mais j’ai déjà remarqué que cet accès de misanthropie lui prend assez volontiers à cette heure-ci. Elle se plaint toujours de sa douleur de côté. J’attends M. Triger avec impatience pour savoir s’il faut lui mettre un vésicatoire. Je serai bien contrariée s’il ne vient pas car je voudrais pour tout au monde qu’on fît diversion à l’état languissant et somnolent de cette pauvre enfant. Mme Luthereau ne sait quelle chère lui faire. Elle lui apporte tousa ces petits riens qui flattent les malades, mais elle reste indifférente à toutes ces marques d’affection. Il est impossible d’être plus apathique que cette pauvre péronnelle, tout lui est indifférent ou à charge. Cela ne s’explique que par sa maladie, aussi je serai bien contente le jour où elle reprendra cœur à tout ce qui se passe autour d’elle. En attendant, il faut que je puise du courage et de la patience dans ta pensée et dans ton amour. C’est mon refuge dans toutes les circonstances de ma vie heureuse ou malheureuse. Si je ne t’avais pas, qu’est-ce que je deviendrais, mon Dieu ? Tu es mon appui, mon bonheur, mon bien, mon espoir dans cette vie et dans l’autre. Quand je vois ta noble figure et ton doux sourire, je me sens consolée et heureuse dans l’âme. Je t’aime, mon Victor bien aimé, Ô je t’aime, je t’aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16362, f. 405-406
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette
a) « tout ».