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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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8 mars 1846

8 mars [1846], dimanche matin, 8 h. ¼ 

Bonjour mon cher petit Toto, bonjour mon pauvre petit bien-aimé, bonjour je t’aime. Je suis honteuse de ma paresse mais je t’aime. Je suis furieuse contre mon sommeil de plomb, mais je t’adore. Je sens que ce n’est pas encourageant pour toi, c’est ce qui me désespère car si j’avais compté sur toi davantage je n’aurais pas éteint ma bougie et je ne me serais pas endormie avec cette pesanteur. Si tu ne me crois pas tu as tort car ce que je te dis est bien vrai. Je m’en veux ce matin. Je voudrais ne pas me connaître et me fuir à l’autre bout du monde. Il me semble que tu dois éprouver le même attrait pour mon aimable personne, ce qui ne contribue pas peu à me la faire prendre en grippe abominablement. Comment vas-tu, toi mon bien-aimé ? As-tu terminé tes comptes avec Bernard ? Tu y es resté bien tard et tu avais une cravateª bien blanche pour un homme occupé de chiffres. Nous verrons tantôt si vous avez bien employé votre temps et si vous avez bien mis à profit l’affaire Chaumontel. D’ici là je vais faire bien de tristes réflexions sur moi et me faire de bien amères remontrances. Malheureusement cela ne m’avancera à rien pour ce qui est passé et à pas grand-chose pour l’avenir. Je t’attendrai pendant un mois éveillée une partie de la nuit comme une portée de souris et puis tu ne viendras pas et le jour où je m’endormirai en désespoir de cause tu viendras par hasard, ce sera un cercle vicieux dont je ne sortirai jamais. L’important est que tu viennes n’importe en quel moment et que tu ne me prennes pas en horreur puisque je t’aime plus que ma vie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 239-240
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

a) « cravatte ».


8 mars [1846], dimanche soir, 10 h. ½ 

Me voilà toute seule, mon bien-aimé, et j’en profite bien vite pour te gribouiller quelques bonnes tendresses, cependant je devrais vous tenir la dragée haute pour le manque de respect que vous avez témoigné à mon latin [1]. Si vous croyez m’humilier en faisant semblant de le savoir mieux que moi vous vous trompez du tout au tout. Je sais votre latin, je le connais, [il  ?] ressemble à votre espagnol. Voime, voime, vieux chaudronnier, vous devriez vous taire, cela vaudrait bien mieux que de vous moquer de ceux qui en savent plus que vous. Taisez-vous ! Vous m’ennuyezª beaucoup si vous vous croyez drôle. C’est demain que je commence la fameuse tapisserie, il est temps si je ne veux pas m’asseoir bientôt sur un fauteuil chauve, c’est-à-dire sur des coussins en fil de fer. Demain Eugénie viendra me le mettre en train. Je fais tes armoiries en laine. On rassortira les couleurs sur celles que tu as choisies toi-même en soie et Eugénie copiera le dessin de [Génévoy  ?] sans qu’on ait besoin de re-dépenser de l’argent pour cela. Moi je remplirai le fond en point de diamants. Fichtre, quel luxe ! Ce sera à mon tour de vous humilier dans mes fauteuils, mais je serai généreuse et je ménagerai votre amour-propre et votre sensibilité. Pour commencer je vous baise des millions de fois sur toutes les coutures et ailleurs.

BnF, Mss, NAF 16362, f. 241-242
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

a) « ennuiez ».

Notes

[1Dans sa lettre de la veille au matin, Juliette Drouet a fait des fautes dans sa citation de Virgile.

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