Guernesey, 16 septembre [18]78, lundi matin, 7 h.
Cher bien-aimé, je t’envoie mon bonjour le plus tendre, le plus souriant, le plus confiant et le plus religieux. J’espère que des pauvres petites fleurs que j’ai cueillies, je devrais dire : REcueillies hier à la Maison Visionnée [1] pendant la formidable tourmente qui rugissait autour d’elle à ce moment-là et qui me rappelait celle à laquelle ma pauvre âme était en proie si récemment [2], renaîtronta pleines de sèves les fleurs : espérance, amour, bonheur. Je te confie cette douce semence de mon cœur au tien, en priant Dieu de la développer et de la bénir sur la terre et au ciel où j’aspire à aller bientôt.
Cher bien-aimé, je te remercie d’avoir ajourné ta réponse à Mme Benderitter [3]. Tu verras plus tard que sa galanterie en était disproportionnée et aurait choqué ton correct et mesuré cousin le marquis de Coriolis [4], le doseur exquis par excellence. D’ailleurs tu m’avais conféré autrefois l’honneur de répondre pour toi à cette dame chaque fois qu’elle t’écrivait. Ai-je donc démérité depuis ? That is the question à laquelle il faut répondre si tu l’oses ou si vous le pouvez [5]. Moi je t’aime et je vous adore.
Monsieur
Victor Hugo
Hauteville House
Syracuse
Transcription Gérard Pouchain
[Barnett, Pouchain]
a) « renaitrons ».