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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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23 février [1846], lundi matin, 10 h. 

Bonjour mon aimé, bonjour mon adoré, bonjour mon taquin, bonjour mon goinffre, bonjour mon gouillaff, bonjour comment que ça va ? Je suis déjà très désireuse et très impatiente de le savoir, c’est étonnant, mais c’est comme ça. J’espère que la mauvaise digestion de Charlot n’aura pas eu de suite. Ce pauvre enfant a mal pris son temps pour être indisposé, il aurait dû attendre au moins que les jours gras fussent passés. Je ris parce que je sais que son mal n’est pas sérieux et ne vous donne aucune inquiétude. Mais en même temps je le plains de ne pouvoir pas se livrer aux plaisirs vifs et variés de la saison. Je ne sais pas, mon Victor adoré jusqu’à quel point tu peux servir la veuve de mon pauvre oncle, mais je te supplie de faire pour elle tout ce que tu pourras sans songer à ce qu’elle est et aux griefs personnels que j’ai contre elle. En somme elle a soixante-neuf ou soixante-dix ans avec toutes les infirmités de son âge. Je crois que tu feras une bonne action en lui rendant service malgré ta répugnance pour sa personne et pour son caractère [1]. La suprême intelligence est la suprême indulgence [2] et tu l’as prouvé en toute chose et pour tout le monde jusqu’ici. Je te demande à mains jointes de ne pas exclure cette malheureuse vieille femme de ton généreux pardon. Mon Victor adoré, je t’aime, je te vénère, je t’admire, je te respecte, je t’adore comme tout ce qu’il y a de plus ravissant, de plus grand, de plus généreux, de plus sublime et de plus divin dans ce monde.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 187-188
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette


23 février [1846], lundi soir, 5 h. ½

Mâtin, c’est joliment chesse mes jours gras. Si vous croyez que je suis contente, vous vous trompez joliment. Si je ne craignais pas d’être joliment ennuyeusea en vous grognant je n’y manquerais pas, je vous prie de le croire. J’espérais que mes petites péronnelles [3] dîneraient avec moi aujourd’hui mais Julie est venue me dire que sa mère était plus souffrante encore qu’hier et qu’elle et sa sœur resteraient auprès d’elle. Pour la même chose je ne pourrai pas y aller non plus demain. Tu vois, mon bon petit homme, que je suis vouée à la solitude complète ces deux jours-ci et qu’il serait bon et juste que tu vinsses un peu plus que d’habitude, ne fût-ceb qu’en l’honneur de notre Saint mardi-gras [4]. Cependant je n’y compte pas car je sais combien tu as affaire mais je serais bien heureuse si tu pouvais m’en faire la surprise. En attendant, je repasse un à un tous mes doux souvenirs d’amour et je t’aime avec toute mon âme. Pense à moi de ton côté et aime-moi de toutes tes forces. Jamais tu ne pourras le faire autant que moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 189-190
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

a) « ennuieuse ».
b) « fusse ».


23 février [1846], lundi soir, 10 h. ¼

Merci mon Victor, oh ! Merci du fond du cœur pour cette pauvre femme et pour moi. Je ne sais pas pourquoi, mais il me semble que cela nous portera bonheur. Si tu avais pu voir comme moi ce qu’il y avait de triste, de doux et de contenu dans l’attitude de cette pauvre femme, tu jugerais avec moi que c’est une double bonne action que tu as faite en permettant que je la voie quelquefois. Mais tu as encore fait davantage puisque tu as tout accordé aux premiers mots et sans en être autrement sollicité que par ta bonne et généreuse nature. Sois béni, mon Victor, autant que tu es bon autant que tu es aimé et adoré par moi. Quand je pense à cette pauvre femme, j’ai le cœur plein de pitié et d’amitié. Je sens tout ce qu’elle doit souffrir et je me souviens que je lui ai servi de mère pendant 10 ans [5]. Je pleure en pensant à toi et à elle, mais ce sont de bonnes larmes de reconnaissance et de pitié. Mon Victor, le génie te rend sublime, la bonté te fait divin. Sois béni mon Dieu, sois heureux, tu ne le seras jamais assez, tu ne le seras jamais autant que tu le mérites et que je le désire.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 191-192
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Françoise Marchandet, la tante de Juliette Drouet (sœur de sa mère), s’est occupée d’elle enfant. Juliette Drouet lui préférait son mari, l’oncle René-Henry Drouet, dont elle a pris le nom. Chargés de l’éducation de la petite orpheline, leur nièce, les époux se séparent et la placent au couvent. Françoise Marchandet aura une fille adultérine, et délaissera sa nièce au profit de sa fille.

[2Est-ce une citation ?

[3En l’occurrence, les sœurs Rivière.

[4Le mardi-gras 19 février 1833, Hugo a renoncé à aller à un bal d’artistes pour passer la soirée avec Juliette Drouet. Cette date est célébrée pieusement par les deux amants.

[5Intéressant lapsus : c’est sa tante Françoise Marchandet qui a servi de mère à la petite orpheline Julienne Gauvain pendant dix ans.

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