5 mai 1857

Guernesey, 5 mai 1857, mardi après-midi, 4 h.

Je te demande un peu, mon tout bien-aimé, ce que mon insipide restitus peut te faire tous les jours ? Tu n’as pas besoin d’elle pour savoir que tu es ma vie, ma joie et mon bonheur. Mon éternel amour stéréotypé de cette façon doit te paraître encore plus monotone et plus ennuyeux^a que ma maussade personne ; aussi je ne comprends pas pourquoi tu t’obstines^b à perpétuer cette pauvre vieille restitus qui n’a plus aucune raison d’être maintenant. Quant à moi, mon doux adoré, je t’obéirai tant que tu voudras, heureuse si tu peux voir un peu de mon âme à travers ces épais gribouillis. En attendant je ne serais pas fâchée que tes ouvriers te permettent de venir un moment [1]. Depuis hier je t’ai vu cinq minutes, c’est bien peu, même dans une île. Dans ce moment-ci j’entends crier mon pauvre coq comme si on le plumait vif. Je crains qu’il n’ait encore trouvé moyen de rejoindre son rival et qu’ils ne soient en train de se massacrer tous les deux. Si cela était, il vaudrait mieux que je le reprenne quoique je ne sache pas où le fourrer en attendant la venue des deux couvées. Mais le plus pressé pour eux c’est de les empêcher de se tuer quitte à les faire coucher à la belle étoile. Je t’attends pour savoir s’il y a urgence de les séparer tout à fait. Et puis je t’aime à poil et à plume, de pied ferme et à tire-d’aile^c.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16378, f. 76
Transcription de Chantal Brière
[Souchon]

a) « ennuieux ».
b) « tu t’obstine ».
c) « à tire-d’ailes ».