6 janvier 1856

Guernesey, 6 janvier 1856, dimanche après-midi, 2 h. ½

Je t’aime mon Victor, ce mot-là contient tout pour moi : le soleil, le plaisir, la santé, la joie et le bonheur. Hors de lui, rien n’existe pour moi ou plutôt tout est noir, triste, décourageant, lugubre et douloureux. C’est pourquoi, mon cher petit homme, il m’est impossible d’être gaie et heureuse sans toi. Depuis hier j’ai écris neuf lettres dont pas une de celles que tu m’as commandées. Il m’est impossible de prendre sur moi de communiquer directement avec tes amis. Quant aux miens, je les ai toujours traités de pair à compagnon ; ils y sont habitués et rien ne me gêne dans mes épanchements avec eux. Il n’en est pas de même pour les personnes que tu connais. Jusqu’à présent, je n’ai pas pu parvenir à prendre sur moi de me montrer à eux telle que le bon Dieu m’a faite. Pourquoi ? je n’en sais absolument rien. À moins que ce ne soit par la mauvaise honte d’être si sotte. Quoi^a qu’il en soit, mon cher adoré, c’est une répugnance que je ne peux pas vaincre malgré tous les efforts que j’ai faits^b jusqu’à présent dans le désir bien ardent de t’obéir et surtout de t’épargner un surcroît de fatigue et d’ennui. Je vais encore essayer tout à l’heure mais je doute que cela aboutisse à rien de bon. En attendant je t’aime de tous les amours à la fois.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16377, f. 8
Transcription de Christelle Rossignol assistée de Chantal Brière

a) « Quoiqu’il ».
b) « fait ».