Jersey, 31 janvier 1854, mardi soir, 5 h. ½
Mon cher petit homme, un mot suffirait pour te dire tout mon cœur. Je t’aime. Mais quatre pages blanches à remplir tous les jours sont beaucoup pour un pauvre petit esprit essoufflé comme le mien. Tu as beau dire le contraire, ma crédulité n’accepte pas le change et je n’en suis plus que sotte devant la nécessité de t’écrire tous les jours. Autrefois, j’avais le bonheur si léger qu’il sautait gaiement à travers ma stupidité en gazouillant son amour comme un oiseau de branche en branche. Maintenant, c’est à grand peine si mes pauvres pattes de mouche suffisent à tirer jusqu’au bout de mon papier mes pauvres honteuses tendresses. Et pourtant je ne t’ai jamais plus aimé, jamais le son de ta voix ne m’a paru plus doux, jamais ton regard plus beau, jamais ta bonté plus ineffable, jamais ton génie plus sublime, jamais toute ta personne plus adorable. Mais….. tiens, mon cher bien-aimé, crois-moi quand je te dis qu’il y a des choses qu’il ne faut pas.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16375, f. 49-50
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Chantal Brière
[Souchon]