Jersey, 25 janvier 1854, mercredi soir, 4 h. ½
De cœur las, je me mets à la restitus puisque vous ne voulez pas venir absolument, mon cher petit affairé. Déjà hier je vous ai à peine vu et il n’est que trop probable que je ne serai pas plus heureuse aujourd’hui. Mon bulletin quotidien de bonheur ressemble fort à celuia du bureau des longitudes de Paris qui constate à grand peine 33 jours de beau temps sur 365. Moi, je n’ai même pas cette moyenne à mettre en recette de mes 365 jours / année bissextile d’embêtements.
5 h. ½
Je me hâte d’achever mon gribouillis pendant que vous pataugez dans les jersiaises et le brouillard. Oh ! ça, qu’est-ce que cette histoire de Le Flô chez lequel il faut que vous soyez ce soir avant 6 H. ½ ? Le savez-vous ? Est-ce un rendez-vous galant ou gastronomique ? Il me semble que vous êtes bien négligé pour l’un ou pour l’autre. Mais si vous n’êtes pas prévenu qu’on vous attend, comment peut-on compter sur vous ? Tout cela me paraît difficile à faire aller avec ce que vous m’avez promis tout à l’heure, sans parler de tous les retards que vous me devez depuis plusieurs jours. J’ai bien envie de vous laisser ignorer ou oublier ce fameux rendez-vous au risque de priver Le Flô d’un quatrième moutard et vous d’une triomphante goinfrerie. Après cela il s’agit peut-être de Henry cinq ce soir sur le trône de ses pères. Ceci mérite quelques considérations : Dieu le veut ! C’est peut-être une raison pour qu’une Juju ne le veuille pas et fasse manquer cette double restitution en gardant ce soir le plus traître silence. En attendant, je vais montrer la lettre de l’agneau Hubert [1] ainsi nommé parce qu’il est un mouton de la rue de Jérusalem. [Pends ?] toi, brave Toto on fait des coq-à-l’âne et tu n’y es pour rien. Cela t’apprendra à siffler la linotte [2] jersiaise au noir de la lune, mon ami Toto.
BnF, Mss, NAF 16375, f. 41-42
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Chantal Brière
a) « cela ».