Guernesey, 23 Décembre 1860, dimanche 9 h. du m[atin]
Bonjour, mon petit homme bien aimé, bonjour et tenez-vous bien chaudement sous vos couvertures car il fait un temps de chien. Je sais bien que c’est la saison mais c’est aussi la saison des maux de gorge [1] et des rhumes pour les imprudents. Voilà pourquoi je vous supplie de n’en pas faire, d’imprudence, et de prendre tout mon feu et toutes mes flammes plutôt que de risquer le plus léger refroidissement sur votre chère petite peau. Ceci, bien convenu entre nous, je suis plus tranquille en regardant tomber la grêle et la neige et je trouve que tout est bien même l’hiver, même la messe qui me force à t’écrire à bâtons rompus tant Suzanne est pressée d’en manger une ce matin. Elle me harcèle pour mon déjeuner, pour sa table, pour son buffet devant lequel je suis assise. Ce serait à lui ficher des coups à travers son affreux piffe si elle n’était pas encore plus Ténéric [2] que dévote. Il faut pourtant que j’achève mes dévotions aussi, moi, et que j’égréne mon chapelet de tendresses et de baisers devant mon cher petit Dieu Toto. La liberté des cultes doit exister pour moi comme pour elle aussi je ne lui céderai la place que lorsque j’aurai fini toutes mes tendres oraisons depuis je t’aime jusqu’à je t’adore. Amen.
BnF, Mss, NAF 16381, f. 329
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette