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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey 29 janvier [18]73. Mercredi 8 h. ¾ du m[atin]

Je n’ai pas eu la chance de mettre dans ton mille ce matin, mon cher bien-aimé, ce qui m’humilie d’autant plus que j’ai fait une faction de plus d’une heure dans l’espérance de te voir un quart de seconde ; mais je n’ai pincé qu’une forte onglée. Enfin, c’est toujours ça, on ne peut pas tout avoir et la sagesse est de savoir se contenter de rien.
Comment as-tu passé la nuit, mon grand petit homme ? Par ce froid carabiné on dort mieux en général, du moins si j’en juge par moi-même qui ai très bien dormi toute la nuit.
Et la lecture promise quand nous la feras-tu ? Et la copie attendue et désirée quand nous la donneras-tu ? Pour peu que cela dure encore quelque temps toutes ces belles promesses tomberont en défaillance comme mes pauvres pots qui eux, aussi, sont au fond du gouffre arriéré avec mes quarante-huit sous d’ancien et n’en sortiront jamais. Cependant « mon âge me donne droit d’y prétendre et je n’ai plus le temps d’attendre. [1] » Serez-vous donc moins généreux envers moi qu’envers cette vieille feue canaille académique Jay dont vous avez exaucé le piaillement ? Hélas ! Je ris de ces ajournements indéfinis pour n’en pas pleurer et surtout pour te montrer ma philosophie.
Pourvu que tu m’aimes et que tu n’aimes que moi, en dehors de tes affections paternelles, je me contente de tout et suis prête à renoncer à tout pour t’épargner un souci ou un chagrin car je te vénère et je t’adore.

BnF, Mss, NAF 16394, f. 28
Transcription de Maggy Lecomte assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Juliette détourne deux vers d’un madrigal qu’Emmanuel Dupaty, impressionné d’avoir été élu le 18 février 1836 à l’Académie Française devant Victor Hugo, s’empressa d’offrir à son rival malheureux : « Avant vous je monte à l’autel,/Mon âge seul avait droit d’y prétendre ;/Déjà vous étiez immortel,/ Et vous avez le temps d’attendre. » Juliette attribue ces mots à Antoine Jay, lui-même élu en 1832. La confusion s’explique autant par l’ancienneté des faits que par l’opposition commune des deux hommes à la candidature de Hugo en 1841. Dans les lettres de cette période Juliette traite souvent Dupaty de « perdreau » d’où la référence qui suit au « piaillement » ou, jouant avec les noms d’oiseaux, elle rapproche Jay et « geai ». [Remerciements à Chantal Brière].

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