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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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20 avril [1847], mardi matin, 10 h.

Bonjour, mon Victor, bonjour la joie de mes yeux, la volupté de mes lèvres, le bonheur de mon âme bonjour. Je te souris, je te porte, je crois à Chaumontel, à Mme Jules Lefebvre [1], à la garde nationale de Charlot, à la mairie et aux carabiniers du même quoique ce ne soit pas aussi simple qu’on croit [2]. J’y crois et j’y veux croire toujours pour conserver intactes jusqu’à la mort la foi pieuse que j’ai en ta loyauté, l’admiration vénérable que j’ai pour ton noble caractère et l’adoration sans borne que je sens pour toute ta sublime personne physiquea et morale. Accorde-moi seulement la liberté d’être triste loin de toi et de souffrir de ton absence puisque c’est une des conséquences de la joie et du bonheur qui m’inondent le cœur quand je te vois.
J’ai écrit à Eugénie ce matin avant neuf heures. Si elle reçoit ma lettre à temps, elle viendra avant trois heures. Sinon ce sera pour ce soir. Je te promets d’être très réservée vis-à-vis d’elle et de ne lui laisser voir aucun de mes griefs personnels. D’ailleurs je les lui ai tous pardonnés du moment où j’ai consenti à la revoir après les hideuses confidences de Louise [3]. Il m’aurait été impossible de l’accueillirb chez moi si j’avais conservé le moindre ressentiment contre elle. Maintenant je ne vois plus en elle qu’une femme très malheureuse et dont la calomnie exagère probablement les torts de toute nature. Je croirais manquer aux devoirs les plus rigoureux de la charité et de l’humanité que de profiter du moment où elle est à terre pour lui jeter ma pierre. D’ailleurs c’est avec cette sévérité féroce qu’on fait du Jean Tréjean. Je suis à trop bonne école et j’ai trop à bénir ton ineffable bonté et ta généreuse et divine indulgence pour n’être pas portée au pardon et à la pitié. Ô quand je pense que c’est à toi que je dois ce sentiment de bonté qui m’emplit le cœur dans ce moment-ci, que c’est à ton exemple que je suis miséricordieuse, je t’en remercie à genoux et j’adore Dieu dans ta douce et ravissante personne. Mon Victor sois bénic en toute chose car tu es bon et indulgent pour tous, car tu es généreux pour toutes les misères qui dégradent le corps et l’âme, car ton divin courage ne recule devant aucune plaie morale, quelque hideuse qu’elle soit. Je répands mon admiration, ma reconnaissance et mon amour à tes pieds que j’adore. Je fais de mon âme un des plus purs rayons de ton auréole.

Juliette

MVH, α 7888
Transcription de Nicole Savy

a) « phisique ».
b) « accueuillir ».
c) « bénis ».

Notes

[1Jules Lefevre est l’un des participants au tirage de la loterie d’autographes pour les crèches organisée le 11 avril chez Victor Hugo.

[2Allusion à l’affaire du carabinier de Charles.

[3Voir la lettre du 15 mars 1847, où Juliette raconte les reproches qui lui ont été faits par Mme Rivière.

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