Jersey, 24 décembre 1854, dimanche après midi, 2 h.
Mon cher petit Toto, je Restitus quand même et toujours quoique j’aie des choses plus pressées à faire pour toi. Aussi je te propose de mettre les restitus de côté tant que je n’aurai pas fini toutes tes copires [1]. Tu ne peux qu’y gagner de toute façon car le meilleur de ce que je sens et le plus tendre de mon amour sont justement les deux choses que je ne sais pas te dire avec le bec de ma plume. D’ailleurs ce petit temps d’arrêt ne peut que favoriser mes pataquès en les laissant reposer et reprendre haleine. Quant aux baisers je préfère de tout temps te les donner en nature qu’en style. Ainsi c’est convenu : à partir de demain, jour de Noël, je rengaine ma restitus jusqu’à parfaite extinction de copire, aujourd’hui je profite de mon reste pour vous fourrer toutes sortes de caresses par les pieds et par la tête assez pour vous en rassasier jusqu’à la consommation des siècles et des Juju.
Du reste j’ai déjà commencé hier et ce matin votre fameuse réponse au marquis [2] mais je ne sais pas pourquoi vous ne mettez pas un signe ou un chiffre à chaque feuille. Quant à moi j’ai toujours peur d’intervertir l’ordre de toutes ces admirables choses, ce qui m’embarrasse souvent. Ce soir je compte vous demander un guide-âne pour me retrouver dans cette sublime forêt de Bondy oùa chacunb de vos vers vous prend à la gorge et détrousse l’admiration de quiconque s’y hasarde. En attendant je patauge à travers votre poésie au risque de m’y casser le peu d’esprit que j’ai, outre que c’est fort bête c’est imprudent. Aussi je ferais bien mieux de vous aimer tout simplement et sans [cligner de l’œil ?].
Juliette
BnF, Mss, NAF 16375, f. 438-439
Transcription de Chantal Brière
a) « où ».
b) « chaqu’un ».