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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 13 octobre 1854, vendredi, midi ½

Il est bien vrai, mon trop bien-aimé, que j’ai l’audace de faire courir mes pattes de mouches sur votre majestueux museau de grand lion sans aucune espèce de crainte ni de timidité. Cela tient à la conscience que j’ai de mon infirmité, eu égard à votre puissante et fauve personnalité. Il n’en esta pas de même quandb je m’adresse à des êtres plus ou moins englués de bourgeoisie et de préjugés ; je sens qu’il y a là un danger pour moi et que le moins qu’il pourrait m’arriver serait d’y perdre ma liberté… d’esprit (de mouche), avec vous je ne cours pas le même péril et je vagabonde en toute confiance autour de vous. D’ailleurs est-ce qu’il est possible de mal dire : je t’aime, qu’on l’écrive en grec, en latin, en busulban, en baobétan, en chidois, en sanskri ou en charabia ? Je thème, je tème, je t’aime et même je t’aibe ? Tout cela sont autant de diamants tirés de la mine inépuisable de mon amour. Le style lapidaire, lui-même, ne saurait y ajouter la valeur d’un iota. Mais la vile multitude préfère de beaucoup un bouchon de carafec taillé à facettes, voilà pourquoi j’ai si peu de goût à me montrer à elle dans toute ma simplicité brute et même brutale. Ce qui fait que notre Juju est muette [1] et qu’elle aime mieux la foudre sur la tête que son visage devant le [sun ?]. Cela ne m’empêche pas d’être bien touchée et bien reconnaissante de la peine que tu prends de te substituer à moi dans des occasions dangereuses comme celle d’hier. Si je pouvais t’en aimer plus je le ferais ; mais, à l’impossible nul n’est tenu, fût-on trois fois Juju. Je t’expliquerai cela tantôt quand je te verrai. D’ici là je me livre au rognonage dans mes toiles et dans mes calicots achetés hier et puis je vous attends les ailes ouvertes, le cœur et l’âme à l’unisson.

BnF, Mss, NAF 16375, f. 337-338
Transcription de Chantal Brière
[Blewer]

a) « n’est ».
b) « qu’en ».
c) « caraffe ».

Notes

[1« Voilà pourquoi votre fille est muette », réplique du Médecin malgré lui de Molière.

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