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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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24 janvier [1843], mardi soir, 9 h.

Je ne t’ai pas écrit en sortant de Londres [1], capitale de l’Angleterre, comme je le voulais faire à cause des dents de ma servarde qui se trouvaient allongées de tout son féroce appétit. J’ai eu pitié d’elle et de Cocotte et je me suis mise à bouffer en sortant de ma baignoire, pas de la Comédie-Française. Maintenant que toute ma ménagerie est repue et moi avec je me livre tout entière à la rédaction.
Je commence par vous rappeler avant tout, mon amour, que ceci est ma dernière feuille de papier et que vous ayez à m’en apporter cette nuit même si vous ne voulez pas éprouver de retard dans l’envoi de cette feuille trop quotidienne. Et puis, je profiterai de l’occasion pour renouvelera connaissance avec vous car il me semble que nous nous sommes à peine vusb depuis longtemps. Je vous défends, mon Toto, sous peine de mort, d’aller à Phèdre [2] ce soir. Vous entendez ça n’est-ce pas et vous connaissez mon grand couteau qui ne le cède en rien pour la férocité de son caractère à l’aimable Maxime du plus aimable Théâtre-Français. Ainsi tenez-vous le pour dit. Je vous conseille, en outre, de barricader votre porte et de consigner le facteur chez votre portier si vous ne voulez pas être assailli par toutes les portières réformées de Paris et de la banlieue et ruiné par la correspondance de toutes les écrivaines plus ou moins publiques. Ceci est un conseil, plutôt d’ami que d’amie, quoique je me flatte d’être la vôtre à la vie à la mort. Mais si vous n’y prenez pas garde mon pauvre amour, vous serez envahi par ce débordement de vieilles faumes et de jeunes toupies. Il est plus que temps que cette position ridicule change dans l’intérêt de tout le monde. Si elle se prolongeait davantage, il vaudrait mieux ne pas jouer la pièce du tout. Je te le dis sans exagération mon pauvre amour et comme je le sens. Si je tenais ce hideux Buloz, je lui crèveraisc son unique œil pour lui apprendre à voir plus clair une autre fois dans son personnel féminin [3]. S’il n’avait pas été frappé d’un aveuglement stupide, et connaissant la pièce et le rôle, il t’aurait averti que la Maxime n’était pas praticable. C’est un hideux crétin de ne s’en être pas rendu compte avant la distribution et qui ne mérite que des coups de pieds. Et puis je t’aime mon ravissant Toto.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16351, f. 71-72
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « renouveller ».
b) « vu ».
c) « crèverait ».

Notes

[1Sans doute faut-il entendre « en sortant de l’onde » puisque Juliette sort de son bain

[2Depuis le 21 janvier, Rachel joue le rôle-titre de Phèdre à la Comédie-Française.

[3Borgne, mais célèbre pour son œil typographique, François Buloz, directeur de la Revue des Deux Mondes, était couramment désigné comme « le Polyphème de la rue Saint-Benoît ».

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