Paris 19 juin [1880], samedi matin, 7 h.
C’est un grand plaisir, mon cher bien-aimé, de se lever après une bonne nuit comme celle que je viens d’avoir mais le plaisir serait du bonheur si tu l’avais en même temps que moi et si nous avions devant nous à l’horizon une grande étape à faire côte à côte sur une belle route avec la charretée de famille complète. Malheureusement ce bonheur ne peut plus avoir lieu pour nous ici-bas. Ta grandeur t’attache de plus en plus au rivage d’Eylau, 130 [1], sans compter ma vieille goutte qui pèse de plus en plus sur mes pauvres pattes. Aussi c’est plutôt un regret que j’exprime qu’un désir de Tantale impossible à satisfaire maintenant que je formule. J’espère que tu as bien dormi. Cette pensée me ravigotea et me donne du cœur au ventre pour commencer la journée qui promet d’être belle. Andrieux t’a écrit pour te dire qu’il n’y avait pas de vacances en ce moment pour la place que tu lui fais l’honneur de demander mais qu’il garde bonne note de ta recommandation pour que ton protégé soit placé dès que ce sera possible. Demain tu auras à faire un dépouillement sérieux de toutes les lettres venues pendant la semaine et dont beaucoup méritent une réponse. Le bon Lesclide t’aidera à débrouiller toutes ces élucubrations intéressées plutôt qu’intéressantes moi je me fais à moi-même la demande et la réponse : m’aimes-tu ? Je t’adore - ça n’est pas plus malin que ça.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16401, f. 166
Transcription d’Emma Antraygues et Claire Josselin
a) « ravigotte ».