10 septembre [1848], dimanche matin, 8 h.
Bonjour, mon adoré petit bien-aimé, bonjour. As-tu trouvé ton homme hier au soir ? À quelle heure es-tu rentré chez toi ? À quelle heure as-tu soupé ? Quand t’es-tu endormi ? As-tu pensé à moi ? Toutes ces questions insignifiantes, en apparence, ont pour moi un intérêt bien vif. Il m’importe en effet de savoir si tu t’es beaucoup fatigué, si tu as pris soin de ta santé et de ton repos et si tu m’aimes. Le jour où je serai indifférente à toutes ces choses c’est que je ne t’aimerai plus, c’est-à-dire que je serai morte de corps et d’âme. En attendant, je vis et je t’aime avec la plus jalouse et la plus tendre sollicitude. Il ne m’est pas bien prouvé, même dans ce moment-ci, que je ne sois pas légèrement émoustillée à l’endroit de la VICTOIRE quelconque qui vous ouvre, en chantant [1], tout ce que vous voulez et bien autre chose avec. Il faudra que je fasse une perquisition à domicile chez toutes les suspectes de votre connaissance et malheur à celles qui seront ATTEINTES ET CONVAINCUES de proudhonie et de vésuvisme [2] sur vous. Mon conseil de guerre ne leur sera pas tendre et je leur prometsa d’avance de leur transporterb une pile démocratique dont elles se souviendront longtemps. Vous savez que le COMPLICE sera puni de la même peine et sans aucune circonstance atténuantec. Vous êtes averti. Méfie-toi Toto, et surtout viens de bonne heure pour cacher ton affreux jeu. D’ici là je te baise en rouge, en blanc et en bleu, et je t’aime de toutes les couleurs.
Juliette
Leeds, BC MS 19c, Drouet/1848/74
Transcription de Joëlle Roubine
a) « promet ».
b) « transporté ».
c) « circonstances atténuantes ».