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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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8 juillet [1849], dimanche matin, 7 h.

Bonjour, mon adoré, mon charmant, mon ravissant, mon idéal bien-aimé, bonjour. Je voudrais que chacun de ces petits mots noircis fût un rayon qui t’éblouisse les yeux et te brûle l’âme ; je voudrais que mes baisers aient des ailes pour te suivre partout et pour se poser sur tes yeux pour t’empêcher de voir les jolies femmes ; sur tes oreilles pour les empêcher d’entendre les coquetteries de ces mêmes jolies femmes ; sur ta bouche pour l’empêcher de leur dire des compliments, toujours à ces mêmes jolies femmes, mon inventaire ne va pas plus loin mais mes baisers n’auraient pas les mêmes scrupules et sauraient bien défendre le reste aux mêmes conditions. Depuis que tu m’as fait entrevoir la possibilité de me faire entrer demain à l’Assemblée, c’est-à-dire de t’entendre, mon grand et sublime inspiré, je ne tiens plus dans ma peau [1]. J’en étais tellement préoccupée qu’à travers mon sommeil je me disais qu’il fallait me réveiller de bonne heure pour être prête plus tôt. Ce n’est que tout à l’heure que je me suis aperçue que j’étais en avance de vingt-quatre heures, à mon grand et profond désappointement. Cher adoré, mon désir de t’entendre est immense, mais si tu crois que ma présence peut te gêner en quoi que ce soit je te fais le sacrifice de mon bonheur, si non avec regret, avec amour. Je ne veux pas ajouter à tes préoccupations si sérieuses, l’impatience ou l’ennui de me savoir auprès de toi. Ainsi, mon adoré, ne me fais entrer que si cela ne te contrarie pas le moins du monde.

Juliette

MVHP, Ms a8243
Transcription de Joëlle Roubine et Michèle Bertaux


8 juillet [1849], dimanche midi

C’est encore moi, mon adoré, ce sera toujours moi jusqu’à mon dernier soupir, c’est-à-dire la Juju qui t’aime et qui t’adore. Tu as été bien bon et bien imprudent hier de me donner l’espoir de t’entendre demain car je ne sais pas ce que je deviendrais s’il faut que cela ne se puisse pas. Cependant, je ne veux pas que tu t’imposes ma présence dans un moment aussi sérieux ; je ne veux pas que mon admiration et mon amour te pèsent sur les ailes dans le moment de l’inspiration. Avant tout, mon adoré, je veux t’épargner même le prétexte d’une contrariété, l’ombre d’une gêne ou d’une fatigue. Aussi, quel que soit mon désir de t’entendre, le besoin et la passion de te voir, je te supplie de ne pas en tenir compte devant l’appréhension d’un ennui quelconque. Mais je ne te supplie pas moins en revanche dans ce cas, cela ne te ferait rien, de me faire entrer demain n’importe comment et n’importe où pourvu que je puisse te voir et t’entendre. Depuis hier au soir, je n’ai que cela dans la tête avec cette crainte : irai-je ? n’irai-je pas ? Vois ta pauvre Juju est bien peu raisonnable de se lutter comme elle le fait à un seul et unique Toto et d’en faire le fond et le tréfonds de toute sa vie. Tu en vois les inconvénients tous les jours sans compter que c’est un parti pris et qu’elle ne changera jamais.

MVHP, Ms a8244
Transcription de Joëlle Roubine et Michèle Bertaux

Notes

[1Le lendemain, Hugo prononcera son grand discours sur la misère.

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