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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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8 septembre [1845], lundi matin, 8 h. ¼

Bonjour, mon petit Toto chéri, bonjour, mon cher amour, bonjour, mon petit bien-aimé, comment que ça va ce matin ? Moi je vais très bien et je t’aime de toutes mes forces. Je m’occupe de t’avoir à déjeuner, ce qui n’est pas très facile à en croire Suzanne qui prétend que les marchandes n’arrivent que tard au marché. Cependant je tiens à ce que tu aies des haricots verts frais et je fais force de jambes de Suzanne pour cela. Tout ceci n’est pas très intéressant pour toi mais pour moi, c’est autre chose. Dès qu’il s’agit de toi, tout prend une importance énorme à mes yeux.
Cher adoré, je n’ai pas pu savoir hier ce que vous aviez fait de votre soirée après avoir dîné avec vos deux bandits au Bœuf à la mode  ? Vous êtes venu bien tard pour n’avoir pas dîné en ville ? Je sais que vous vous êtes promené et que vous avez regardé les FAUMES. Si je savais cela, je réaiguiseraisa tout de suite mon grand couteau et je vous l’essaierais sur les parties les plus sensibles et les plus précieuses de votre individu. Je le ferais comme je le dis et beaucoup mieux encore.
Mon Victor, je te souris, mais au fond je ne suis rien moins que gaie, car j’entrevois le voyage d’aujourd’hui et peut-être une séparation de trois jours [1] ainsi que tu m’en asb menacée hier au soir. Je fais bonne mine à mauvais jeu, mais au fond du cœur je suis triste. Je me hâte de te baiser pour ne pas te le montrer trop. À tout à l’heure. Je t’attends et je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 254-255
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « je raiguiserais ».
b) « tu m’en a ».


8 septembre [1845], lundi après-midi, 1 h. ¾

Je ne m’étais pas trompée ce matin, mon bien-aimé, en pressentant que tu partirais pour trois jours. Cette année est désastreuse pour moi, car elle a ouvert la porte des absences et des voyages sans moi, chose qui n’était jamais arrivée depuis treize ans que nous nous aimons. Je sais bien que tu me donnes des apparences de raisons et des ombres de nécessités pour les faire, mais mon cœur me dit que [tu]aurais trouvé d’autre moyen autrefois pour ne pas t’absenter et pour ne pas me quitter. Je te fais cette remarque malgré moi. J’ai beau mettre la main sur mes yeux pour les empêcher de pleurer, mes larmes coulent. J’ai beau me rappeler les douces et tendres paroles que tu m’as dites, mon cœur se serre. Les trois affreux jours qui se dressent devant moi sont plus amèrement désolants que les protestations d’amour et de tendresse donnéesa au moment de la séparation ne sont convaincantes. Si j’ai tort, ce que je demande à Dieu au prix de ma vie, je t’en demande pardon et je te prie de me laisser pleurer et souffrir de ton absence parce que c’est le seul moyen que j’aie de la supporter en y ajoutant tes adorables lettres sur lesquelles je m’appuie en attendant. J’espère que j’en aurai une ce soir et une demain. Même si tu étais tout à fait généreux, tu m’en écrirais une autre encore pour après-demain. Ce ne sera pas de trop, ce ne sera même pas assez, tout adorables qu’elles soient, pour compenser la privation de te voir pendant trois affreux grands jours. Je t’aime mon Victor. Je suis triste, mais par-dessus tout, je t’aime. Pense à moi, sois prudent, et tâche d’abréger mon supplice d’un jour. Je te baise de tout mon pauvre cœur triste.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 256-257
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « donnés ».


8 septembre [1845], lundi soir, 7 h.

Je trouve ta lettre [2] en rentrant, mon Victor adoré, et mon premier besoin avant toute chose, avant même de me déshabiller et d’ôter mes vêtements tout pleinsa de poussière et tout moitesb de transpiration, est d’y répondre et de te dire que tu es mon Victor adoré. Je ne sais pas ce que je deviendrai pendant ces trois mortels grands jours de ton absence, mais ce dont je suis sûre comme de ma vie, c’est que je ne serai pas une seconde sans penser à toi, sans te désirer et sans t’aimer de toute mon âme.
J’avais profité de la permission que tu m’avais donnéec d’aller chez ma couturière qui demeure rue d’Astorg, moins pour y aller que pour tâcher de te voir aux environs du débarcadère, mais je n’ai pas eu cette chance-là. D’ailleurs, si j’en juge d’après l’heure de ta lettre et celle à laquelle je suis sortie de chez moi (4 h. ¼), tu étais déjà parti depuis longtemps quand je me trouvais rue Saint-Lazared. Mon guignon habituel ne m’a pas fait défaut le reste de la journée, car je n’ai trouvé personne chez la couturière et la pauvre mère Lanvin, que je n’avais pas vue depuis ta maladie, est venue pendant que je n’y étais pas. Heureusement que j’ai trouvé ta chère petite lettre en rentrant et, quoiqu’elle soit bien menaçante, je l’ai accueilliee comme une bonne petite amie bien douce, bien tendre, bien désirée et bien attendue. Je l’ai lue et baisée sur tous les mots. Je la relirai et la rebaiserai encore tout à l’heure et puis je la ferai coucher avec moi sur mon cœur.
De ton côté, mon Victor bien-aimé, pense à moi, plains-moi, tâche de revenir demain si c’est possible et écris-moi, je t’en prie de toutes mes forces. Il n’y a que tes douces et ravissantes lettres qui puissent me donner le courage d’attendre ton retour. Bonsoir, adoré, bonsoir, mon Victor toujours plus aimé.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 258-259
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « tout plein ».
b) « tout moite ».
c) « donné ».
d) « Lazarre ».
e) « accueuillie ».

Notes

[1Victor Hugo quitte Paris le lundi 8 septembre et revient le mercredi 10 septembre au soir.

[2Victor Hugo a écrit à Juliette Drouet ce lundi 8 septembre 1845 : « Lundi – 2 h. après midi / Je vais partir, je te quitte pour bien peu de temps, mais c’est pour moi toujours une insupportable tristesse. Que ce bien peu de temps va me sembler long ! Et puis je crains vraiment cette fois de ne pas être de retour demain soir. Le départ général peut se trouver retardé ( ?(. Dans tous les cas, mon doux ange, rassure-toi, je reviendrais plutôt seul que de ne pas revenir mercredi. Attends-moi donc ce jour-là au plus tard dans la soirée. Surtout, chère bien-aimée, prends toutes les distractions qui pourront te rendre l’absence moins triste, va voir notre Claire, fais-la profiter, cette chère enfant, de ce qui nous afflige. Que notre ennui du moins lui produise un plaisir. Je veux être triste, mais je veux qu’elle soit heureuse. / Je veux que tu le sois toi aussi, toi surtout, ma bien-aimée ! Je veux que me vie ait pour occupation ta destinée et pour but ton bonheur ! Je veux que ton pauvre cœur si doux, si noble et si honnête soit toujours épanoui, sinon dans la joie, du moins dans l’amour ! Oh oui ! Aime-moi, pense à moi. Songe que mon dévouement t’appartient, et que je suis heureux qu’il t’appartienne, et que tu as la moitié de ma vie parce que tu es la moitié de mon âme. Je baise tes pieds bénis. » (édition de Jean Gaudon, p. 147). Jean Gaudon précise : « Ce voyage mystérieux dans la région parisienne était en fait prévu. Le 4 septembre, Hugo écrivait à sa femme, à Villequier : « Je ne puis partir pour Brie-Comte-Robert que lundi ce qui fait que je ne serai de retour que mercredi... ». L’itinéraire et le but de ce voyage ne sont pas connus ». Malgré tout, on peut supposer que les différents déplacements de Victor Hugo début septembre sont en lien avec Léonie Biard qui, début septembre, quitte le couvent des Dames Saint-Michel pour entrer au couvent des Augustines.

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