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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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6 juillet [1845], dimanche matin, 9 h. ¼

Bonjour, mon petit bien-aimé adoré et ravissant, bonjour, je suis heureuse, je t’aime. Ne t’inquiète pas des petits nuages qui paraissent à la surface, cela ne va pas au fond du cœur. Il m’est impossible d’être gaie quand je ne te vois pas. Tant que durera ton travail, mon cher bien-aimé, je tâcherai d’être forte et courageuse. Je serais au désespoir d’ajouter une fatigue inutile à ton pauvre cerveau. Aussi, mon cher petit Toto, je te supplie de ne pas t’occuper de moi tout le temps que tu travailles autrement que pour m’aimer et me donner le plus possible le bonheur de te voir.
Je suis toujours très bêtement occupée à souffrir. Je voudrais ne pas me mettre de sangsues aujourd’hui à cause de cette pauvre Claire, mais je souffre beaucoup et j’ai passé une bien mauvaise nuit. Ce n’est ni dangereux, ni inquiétant, ce n’est que très douloureux et très absurde. Aussi je geins d’un côté et je me moque de moi de l’autre. Mais, somme toute, je ne suis pas très drôle. Tu as laissé perdre tes fraises, mon pauvre bien-aimé. Cependant cela t’aurait fait beaucoup de bien si tu avais pu les manger. Ce soir tu en auras d’autres. Il faudra absolument venir les manger pour me faire du bien. En attendant, je t’aime, je te baise, je t’adore et puis je recommence sans interruption jusqu’à la fin de mes jours.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 11-12
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette


6 juillet [1845], dimanche après-midi, 2 h. ½

Cher adoré bien-aimé, je t’ai vu, cela a suffi pour me donner un rayon de joie et de bonheur. Il me semble même que je souffre moins. C’est si bon de te voir, il me semble que c’est le bon Dieu qui me sourit. Peut-être me coucherai-je tout à l’heure. Dans tous les cas, je ne veux pas mettre de sangsues aujourd’hui. Ce serait un triste régal pour ma pauvre péronnelle. Demain, si je suis toujours dans le même état, je me ferai cette petite opération charmante. En attendant, je suis très patraque et très ridicule. Je n’avais pas besoin de ce petit renfort pour le paraître plus que je ne veux. Enfin ce n’est pas de ma faute. C’est peut-être un peu celle de M. Paillard, mais je lui pardonne en faveur de l’intention qui était tout obligeante pour toi. Jour, Toto, Clairette lit Le Rhin à force. Cette pauvre enfant voudrait bien être appelée bientôt et d’un autre côté elle redoute ce moment à l’excès [1]. Moi je n’ose plus me servir de ton influence pour hâter ce moment. Cela m’a trop mal réussi jusqu’à présent [2]. Je laisse aller la chose d’elle-même et puis je t’aime de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 13-14
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Claire attend d’être de nouveau convoquée pour passer l’examen d’institutrice. Elle avait été convoquée le 5 juin, mais ayant mal lu sa convocation, elle arriva en retard et ne put se présenter. Elle fut de nouveau convoquée le 12 juin où elle échoua. Elle passera une nouvelle fois l’examen en février et mars 1846.

[2Victor Hugo avait fait appel à des connaissances, MM. Varin et Dumouchel, pour être les répétiteurs de Claire. M. Dumouchel, comme l’écrit Juliette dans une lettre du 5 juin 1845, avait tout fait pour la réussite de Claire : « M. Dumouchel a essayé de faire consentir à ce qu’on lui fît recommencer la dictée, mais sans succès, ce que je comprends de reste, quoique cela me fâche et me vexe beaucoup. Ce pauvre monsieur a fait tout ce qui dépendait de lui pour faciliter le succès de cette stupide fille et voilà le résultat : il a été probablement et, cette fois comme toujours, le mieux aura été l’ennemi du bien, jusqu’à avancer la séance de deux heures pour éviter l’examinateur si rigide que Claire redoutait. On a été jusqu’à accorder une faute de plus par dictée, CE QUI NE S’ÉTAIT JAMAIS VU. Et tout cela en pure perte. »

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