Guernesey, 23 avril 1860, lundi matin 8 h. ½
Bonjour, mon cher petit homme, bonjour, avec tout ce que j’ai de plus doux et de meilleur en moi, bonjour. J’espère que tu as passé une bonne nuit et que tu m’aimes, ce qui me fait le cœur heureux et l’âme joyeuse ce matin. Sans compter un léger sourire de soleil qui me fait espérer une bonne petite promenade pour tantôt. J’ai hâte de voir arriver la chaleur pour toi, mon cher petit lézard, et pour moi, vieIlle podagre [1]. Figure-toi que j’ai la main droite si enflée ce matin et particulièrement l’index, que je ne peux pas fermer les doigts ; cependant ils ne sont pas rouges et ne me font pas encore trop mal. Espérons que, comme les autres années, je doublerai ce cap du printemps sans une attaque de goutte aussi carabinée que celle de Bruxelles. En attendant je m’habitue à me dorloter et à rester paresseusement dans mon lit comme une femme qui n’aurait que cela à faire ; et cependant Dieu sait que j’aurais beaucoup à faire et des choses qui me plaisent le plus après le bonheur d’être avec toi en chair et en os : te copire [2]. Mais jusqu’à présent ni le temps ni mon cacochysme [3] ne m’ont permis de me livrer à cette douce occupation. Il faudra bien pourtant que je donne le bon exemple au soleil en me mettant d’arrache-plume à l’œuvre. Nous verrons s’il osera se croiser les bras pendant ce temps-là. Cher adoré pour commencer je t’aime de toutes mes forces.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16381, f. 91
Transcription de Claire Villanueva