20 avril 1859

Guernesey, 20 avril 1859, mercredi matin, 7 h. ½.

Bonjour, mon bien-aimé, toujours et de plus en plus aimé, bonjour. Je suis bien heureuse de te savoir guéri, mon pauvre doux adoré, et j’espère que j’aurai encore à ajouter à ce bonheur ce matin la joie de savoir que tu as passé une bonne nuit. En attendant, méfie-toi et ne te laisse pas repincer par le froid et l’humidité de cette matinée venteuse et pluviarde. Quant à moi, je suis calfeutrée comme une noix et j’ai déjà mon feu allumé. Et à ce sujet, je te dirai que Suzanne m’a appris tout à l’heure la nouvelle assez morose qu’il n’y a plus de charbon que pour deux jours. Cette [constatation ?] n’est jamais bien réjouissante, mais dans ce moment-ci elle prend les PROPORS d’un véritable SINISTRE vu l’état de notre caisse. Enfin, nous ferons de notre mieux. En somme, il vaut mieux un peu plus de feu dans son foyer qu’un peu plus d’angyne ou d’angine et de rhumatisme dans sa carcasse. Est-ce votre avis, not’ maîte ? En attendant que vous disiez : OUI, je continue de me passionner pour le pépiement littéraire, philosophique, poétique, artistique, rustique, pathétique et magnifique et séraphique du pauvre petit CRAPOUILLET [1]. Ses petites ailes n’ont^a pas l’envergure des ailes de l’aigle, mais elles ont le prisme, la grâce et le velouté des ailes du séraphin [2]. On voit que ce cher petit s’est posé souvent sur la palette du bon Dieu. Je divague et je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16380, f. 104
Transcription de Mélanie Leclère assistée de Florence Naugrette

a) « non ».