7 juin 1844

7 juin [1844], vendredi soir, 6 h. ⅟₂

Tu m’abandonnes, mon cher petit, tu m’avais pourtant bien promis de venir me surprendre dans mes [illis.], et cependant tu n’es pas venu. Je devrais ne pas m’en plaindre mais, pour mieux cacher mon jeu et mes indigestions, je m’en plains hautement et de toutes mes forces. M. Triger est venu, il a ordonné des sangsues à l’estomac. Demain, il reviendra. Jusqu’à présent, il ne voit rien de grave et il espère que ce sera fini d’ici à quelques jours. Du reste, elle continue d’être fort malade et fort difficile à soigner [1] ; il faut bien prendre son cœur par autrui pour ne pas la planter là sans plus de façon. Il y a des gens qui vous rendent le devoir odieux, cette fille en est presque là. Sa cousine n’est pas venue encore, je l’excuse pour aujourd’hui parce qu’elle a sa belle-sœur qui part ce soir par la diligence, mais demain, je la ferai prier tout bonnement de venir soigner sa cousine. Tu vois d’ici mes [illis.]. Tu as déjà vu ce matin le menu de mon déjeuner qui t’a fort scandalisé à ce que j’ai cru voir. En effet, un œuf par tête et quatre asperges pour deux, il y a de quoi faire reculer Gargantua lui-même et réveiller feu le marquis de Cussy [2] de gastronomique mémoire. Hélas ! Mon pauvre Toto, je ne me contente pas de la rosée du matin et des vapeurs du soir, je mange comme une simple, et même comme QUATRE doubles et énormes femmes que je suis. Ce n’est pas ma faute. Pardonne-moi encore pour cette fois-ci et en faveur de mon amour.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16355, f. 125-126
Transcription de Mylène Attisme assistée de Florence Naugrette