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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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19 décembre [1843], mardi matin, 10 h.

Bonjour, mon Toto bien-aimé, bonjour, mon cher adoré, bonjour, bonjour, je t’aime. Comment vas-tu ce matin, mon Toto ? Penses-tu à moi, m’aimes-tu ? Moi je pense trop à toi et j’ai fait de très vilains rêves qui m’ont laissé du noir dans l’âme ce matin. Cela se dissipera dans la journée surtout si je te vois bientôt.
Il fait un temps hideux, c’est à peine si je vois à t’écrire. Je voudrais bien savoir si tu as reçu l’avis du jour où il faut que tu ailles à cet enterrement ? Je voudrais que cette pénible corvée fût passée. J’ai peur des fluxions de poitrine de ce temps-ci. Je regrette que tu n’aies pas un manteau pour mettre par-dessus ton habit. Je ne me figure pas non plus comment tu feras pour patauger dans la terre détrempée avec tes petits souliers minces. Enfin je ne serai tranquille que lorsque tout sera fini et que je serai sûre qu’il ne t’est rien arrivé. Pour cela, il faudra que tu prennes toutes les précautions possibles.
Jour Toto, jour mon cher petit o, je vous aime. Ceci n’a pas plus pour vous l’attrait de la nouveauté, n’est-ce pas mon beau petit Toto ? Peut-être cela n’en a-t-il aucun autre ? Cependant, mon pauvre adoré, votre sort est d’être aimé par moi jusqu’à mon dernier soupir. Le mien sera de mourir quand vous ne m’aimerez plus. Vous ne pouvez rien y changer ni moi non plus.
Je voudrais bien que tu viennes me voir tout de suite, cela me donnerait du courage pour toute la journée. Je suis toute ragnagna et toute blaireuse ce matin. Cela m’arrive assez souvent mais je sais bien à quoi cela tient. Vous ne le devinez pas ? Ah ! bien, vous êtes une grosse bête.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16353, f. 183-184
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette


19 décembre [1843], mardi soir, 5 h. ¼

Je suis bien impatiente de te voir, mon Toto, pour trois raisons : la première parce que je t’aime, la seconde parce que je t’aime et la troisième parce que je t’aime. Il me semble que l’une des trois devrait te convaincre au choix. Mais peut-être as-tu trois raisons contraires à m’apporter ? Si cela est je ne veux pas les connaître parce que je vous tuerais net comme Dominus. Je ris, mon cher petit Toto, pour ne pas pleurer quoique j’en aie diantrement envie. Mais cela ne m’avancerait pas à grand chose qu’à me rougir les yeux et à t’ennuyer. Je renfonce mes larmes et je tâche de sourire.
Il est bien tard déjà, est-ce que tu ne vas pas bientôt venir ? Il est probable que tu auras reçu aujourd’hui la lettre d’avis pour l’enterrement [1]. Peut-être est-ce là ce qui te retient ? Aussi, mon pauvre ange, pour ne pas risquer à être injuste, je ne t’en veux pas. Je te désire voilà tout. Dès que tu pourras venir me voir, ne fusse qu’une seconde, tu me combleras de joie.
J’ai écrit ce matin à la pauvre mère Pierceau au devant pour aller la voir de si tôt. Je n’ai pas voulu lui laisser croire que je l’oubliais. Cette pauvre femme est digne de tout intérêt et de toute pitié ! Je ne peux pas y penser sans un serrement de cœur. Quand tu auras un moment tu m’y conduira, ce sera une bonne action que nous ferons tous les deux.
Mon petit Toto chéri je vous prie de penser à moi, je vous prie de venir dès que vous le pourrez, je vous suppliea de m’aimer. Je vous baise depuis les pieds jusqu’à la tête.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16353, f. 185-186
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « suplie ».

Notes

[1L’enterrement de Casimir Delavigne, mort le 11 décembre, aura lieu le lendemain. Hugo y prononcera un discours.

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