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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 décembre [1842], mercredi matin, 11 h. ½

Bonjour monsieur. Je vous défends de laisser chez moi des objets aussi compromettantsa que celui de cette nuit, quandb Dieu sait, et vous aussi, que je ne suis pas le moins du monde COMPROMISE. Et pour vous apprendre à avoir plus de soins de vos affaires et de MA RÉPUTATION, je confisque l’objet susdit et vous ne l’aurez plus. Voilà mon genre maintenant. C’est comme ça que je m’arrange. Si ça ne vous convient pas, j’en suis fâchée pour vous.
Comment avez-vous passé la nuit, mon pauvre petit homme ? Tu étais bien enrhumé cette nuit, mon pauvre amour, mais si tu as pris du repos et si tu as pu transpirer, cela t’aura un peu soulagé. Moi j’ai eu et j’ai encore des coliques effroyables qui annoncent quelque embargo très prochain et qui vient à très-point pour sauver votre honneur. Il est probable que dès ce soir, vous pourrez montrer un MÂLE courage en présence d’une impossibilité absolue. Ce sera charmant mais je vous préviens que cela fera peu d’effet sur votre très peu humble et trop obéissante Juju.
Je vous aime, mon petit Toto chéri. Baisez-moi, mon adoré, je n’ai pas la moindre rancune contre vous mais je voudrais pourtant que vous changeassiez de genre de vie avec moi. Tu ne t’aperçois pas, mon cher bien-aimé, que tu perds petit à petit toutes les bonnes habitudes d’amour et que tu ne viens plus chez moi que machinalement, et non comme un amant va chez la maîtresse qu’il AIME. Ce changement, je m’en suis aperçuec dès le premier jour et je te l’ai dit, mon bien-aimé, et je m’en suis tourmentée jusqu’au désespoir sans que cela ait pu ranimer ton amour ; maintenant je prévois que si tu n’y prends pas garde, ce refroidissement deviendra la MORT de notre bonheur. Aussi, je te conjure à genoux, mon bien-aimé, par mon amour et par ma vie, de ne pas te laisser aller à cette indifférence qui me désespère.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 281-282
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « compromettant ».
b) « quant ».
c) « aperçu ».


14 décembre [1842], mercredi soir, 4 h. ½

Bonjour, méchant homme, je ne vous aime pas. Non, c’est le FOUYOU. Mais qu’est-ce que vous faîtes donc, mon Dieu, le jour et la nuit ? C’est ridicule à la fin et je finirai par me fâcher, vous verrez cela. En attendant, je fais de nécessité vertu. Penaillon est venue avec la robe de ma fille et la flanelle en question que je lui ai achetéea pour un caleçon dont nous avons la ceinture toute prête. Comme elle était un peu gênée, j’ai pris 15 F. à Suzanne. pour les lui donner avec cinq francs à moi, ce qui a fait 20 F. acompte et je l’ai ajournée pour le reste à samedi prochain. Je t’ai fait acheter ton élixir et ton odontine [1]. Heureusement que Mignon n’est pas venu et j’espère encore qu’il ne viendra pas ce soir. J’ai vu ma nouvelle blanchisseuse, je lui ai donné mon linge et sur un blanchissage de 4 F. 12 s., je gagne 1 F. 1 s.. La chose en vaut la peine. Pour peu qu’elle blanchisse bien, et même blanchît-elle aussi mal que l’autre, ce qui n’est guère possible, j’aurais pour moi le bon marché. Enfin, je suis enchantée quant à présent de ma nouvelle acquisition. Jour Toto. Jour mon cher petit o. Je vous aime, vous ne vous en souciez pas du tout mais moi je vous aime.

10 h. ½

La mère Pierceau m’a interrompue au bon moment. Il est vrai que tous les moments pour moi sont les mêmes, je t’aime à tous les instants de ma vie, et je suis heureuse quand je te vois, c’est pour cela que je le suis si peu.
La façon plus que cavalière dont m’a répondu cette Mme Marre m’a blessée au dernier point. Je ne comprends pas qu’on pousse l’inconvenance jusqu’à ce degré-là quand on fait métier et marchandise d’éducation. C’est peu rassurant pour les mères en général et pour moi en particulier. Je suis très triste et très blessée. Mais je te le répète encore, mon Toto, je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 283-284
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « acheté ».

Notes

[1« Opiat utilisé pour l’entretien des dents », selon le Grand Dictionnaire universel de Pierre Larousse.

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