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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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22 septembre [1842], jeudi après-midi, 2 h. ½

Je ne devrais pas vous écrire, mon amour, aux termesa de nos conventions, mais je passe par-dessus cette convention et je me donne des gribouillis à cœur joie pour tous ceux que je n’ai pas pu me donner ces jours-ci. Je vous aime, mon Toto, vous saurez ça pour commencer. Ensuite, je vous aime, et enfin, je vous aime. Trois choses qui composent à elles seules toute mon existence. N’oubliez pas que vous m’avez promis de me mener voir les quatre ravissants petits ours [1], mais surtout n’oubliez pas qu’on joue vos pièces à la Gaieté, qu’on jouera demain Hernani au Théâtre Français et qu’il y a un siècle que je ne me suis régalée de votre poésie. Je voudrais étrenner ma fameuse robe neuve à cette occasion, ne me refusez pas cette joie innocente mon Toto ; songez qu’il y a un mois que je n’ai mis le pied dans la rue ! Je voudrais bien aussi, sans te déranger, que tu passes trouver le moyen de recommander ce pauvre Allemand [2]. Je t’en saurai certainement plus de gré que si c’était pour moi, si je pouvais te savoir gré de quelque chose puisque tout mon être, toute ma reconnaissance et tout mon amour sont à toi. Mais enfin, mon pauvre ange, ce serait une bonne action et qui rendrait toute une famille bien heureuse. Vois donc si parmi tes stupides académiciens il n’y en a pas un qui puisse vous servir en cette circonstance. Et puis maintenant, si j’ai manqué de respect envers l’AUGUSTE CORPS dont tu fais partiea, je t’en demande trois millions de fois pardon.
Quand donc pourrai-je exécuter MA RAZZIA ? Il y a bien longtemps que vous me promettez la chose. Est-ce que vous ne la tiendrez pas une pauvre petite fois ? Je ne suis pas la dupe de votre beau-père que vous me plantez en épouvantail comme on fait dans les vignes et sur les cerisiers, et qui n’est autre qu’un de vos vieux chapeaux posé sur un manche à balai et recouvert d’une vieille camisole tricotée. Je suis très femme à n’avoir pas peur de ce savant d’un nouveau genre, essayez-en et vous verrez.
En attendant, mon amour, je vais aller dans mes armoires chercher de quoi vous faire un paletotb de chambre pour cet hiver. Clémentine vient demain, je n’ai donc que le temps juste d’apprêter mes zoubilles [3]. Je baise vos chères petites pattes blanches.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 137-138
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « au terme ».
b) « parti ».
c) « palletot ».

Notes

[1À élucider.

[2Le beau-frère de Juliette, Louis (Ludwig) Koch, a épousé sa sœur Renée-Françoise Gauvain en 1840.

[3Pour houbille, « vieux vêtement, guenille » en patois.

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