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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 janvier [1837], lundi matin, 11 h. ½

Bonjour vilain Toto qui venez manger mon souper sans me le payer.
Je viens d’avoir la visite de M. de Barthès qui part aujourd’hui pour Saumur [1]. Il est resté quelques minutes avec moi, ce dont je suis fort aise car je n’étais pas disposée à lui donner à déjeuner. Ce matin, mes douleurs d’entrailles sont encore plus fortes qu’hier. Cette nuit je n’ai éteint ma lampe qu’à 3 h. ½, le reste j’ai fort mal dormi. Enfin je suis une vraie ganache pour le quart d’heure. Il ne tiendrait qu’à vous de me guérir, mais vous ne le voulez pas, j’en suis réduite pour tout potage à quelques [douches ?] ascendantes. Y a pas beaucoup de dessert.
Je ris pour ne pas pleurer comme on dit dans mon pays [2], mais au fond je n’en ai guère sujet ni envie. Je souffre, je suis triste et mécontente.
Je vous aime malgré tout, de toute mon âme, et vous le savez bien car vous ne vous conduiriez pas avec cette insouciance si vous n’étiez que trop sûr de moi.
Je vous pardonne tous vos crimes et je reste vous aime de toutes mes forces. Je vous baise en désir et en pensée.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16329, f. 61-62
Transcription d’Erika Gomez assistée de Florence Naugrette


16 janvier [1837], lundi soir, 4 h.

Je t’aime mon cher petit To. Je voudrais bien que tu viennes encore souper avec moi ce soir au risque de n’avoir rien du tout à manger, ce qui arriverait infailliblement si tu avais l’heureuse inspiration de le faire. Mais ça m’est égal, je t’aurais mon gros poulet et mon amour servirait de feu pour vous faire rôtir. Ça ne vous tente pas peut-être, hein ? Et bien moi rien que d’ya penser le jus m’en vient sur les lèvres.
Je me suis levée cahin caha. Parce qu’en restant au lit je me soulageais un peu les reins mais je me donnais beaucoup mal à la tête, j’ai choisi entre ces deux maux le pire et je me suis levée. Il fait bien beau, c’est par du temps comme celui-ci que vous devriez venir me chercher pour marcher et non par les jours de déluge, mais vous êtes mon seigneur et maître je ne suis que votre très humble VA SALE comme un peigne et je n’ai pas le droit de vous adresser des reproches mais j’ai celui de vous aimer, de vous adorer et de brosser vos habits dont je m’honore et ME RESPECTE avec lequel j’ai celui d’être votre vieille Juju éclopée pour la vie ET CORNIPEDUM... [3] je baise vos extrémités inférieures et autres. J’espère que vous n’avez pas le front d’avoir mal à la gorge. C’est bon pour une femme ce bijou-là.

BnF, Mss, NAF 16329, f. 63-64
Transcription d’Erika Gomez assistée de Florence Naugrette

a) « dis ».

Notes

[1Claire Pradier, fille de Juliette, est désormais en pension à Saint-Mandé, depuis le printemps 1836. Fin janvier 1836, elle était revenue de Saumur où elle était gardée par Mlle Watteville, dont M. de Barthès est proche.

[2Juliette est née à Fougères, en Bretagne.

[3Citation tronquée de l’Énéide de Virgile que Juliette utilise pour exprimer la colère, l’ardeur ou la fougue. « Demens ! qui nimbos et non imitabile fulmen / Ære et cornipedum pulsu simularat equorum. » (« Insensé qui, du ciel prétendu souverain, Par le bruit de son char et de son pont d’airain, / Du tonnerre imitait le bruit inimitable !) (traduction de l’abbé Delille).

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