Mardi, 8 h. ½ du soir
Tu n’as rien à craindre de moi, toi, je t’aime, je ne peux pas faire autrement que de t’aimer. Si je te trompais maintenant, c’est que je ne t’aimerais pas. Mais puisque je t’aime, je ne peux pas te tromper. Il n’y a rien à dire contre cette vérité.
Sois donc bien tranquille, aime-moi en toute sécurité, ou plutôta laisse-toi aimer comme on aime dans le ciel : c’est-à-dire adorer. Moi, c’est différent. J’ai le droit d’être jalouse, j’ai raison d’être jalouse et Dieu sait que j’use largement de mon droit car je suis jalouse à en mourir sur la place ; de tout ! et de bien d’autres choses encore. Mais je ne me plains pas de ce mal. Qu’est-ce que ça me fait à moi que je m’ennuie, pourvu que je m’amuse [1]. C’est ce que je me dis à propos de l’amour que j’ai pour toi : qu’est-ce que ça me fait de souffrir pourvu que je sois heureuse.
À tout à l’heure.
Juliette
[Adresse]
À toib
11 h. ¼ du soir
Tu parles d’inquiétude et de jalousie, que dirai-je donc moi qui t’attends depuis 4 mortelles heures, ne sachant à quoi attribuer l’oubli de la promesse que tu m’avais faitec de revenir tout de suite ? J’ai plus envie de pleurer que de rire, plus de découragement que de confiance. Je ne sais plus si tu m’aimes.
BnF, Mss, NAF 16323, f. 86-87
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « plus tôt ».
b) Juliette a repris cette lettre plus tard dans la soirée et a écrit par-dessus l’adresse.
c) « fait ».