Guernesey, 5 mai [18]70, jeudi matin, 6 h.
Cher bien-aimé, je t’envoie mon bonjour tout frais éclos ; reçois-le avec tendresse comme je te le donne à distance. J’espère que tu as eu une very good nuit en tout semblable à la mienne qui ne laisse rien à désirer. Voilà déjà quelques instants que je suis levée mais je n’ai pas encore ouvert ma porte pour laisser à ma vieille Suzarde le temps de dormir tant qu’elle voudra. Cette attention ne me coûte d’ailleurs rien puisque je suis sûre que tu n’as pas repris la douce habitude du signal qui me donnait souvent la chance de te voir au moment où tu l’arborais [1]. Maintenant je guette le jour où il reparaîtra à son poste, c’est-à-dire quand il fera assez chaud pour que tu te risques en plein air dès patron-minette [2]. En attendant je prends patience en t’aimant aux quatre points cardinaux avec mon cœur pour boussole. Qu’avez-vous à répondre ? C’est aujourd’hui que nous allons en ville [3]. Il y a bien deux ans que cela ne m’est arrivé [4]. J’en excepte le départ et l’arrivée de nos excursions annuelles. J’espère que tu trouveras pour toi et pour moi quelques choses qui te plairont. Quant à moi, je suis reconnaissante et ravie d’avance de tout ce que tu feras.
BnF, Mss, NAF 16391, f. 125
Transcription de Jean-Christophe Héricher assisté de Florence Naugrette