Guernesey, 11 avril [18]70, lundi matin, 6 h. ½
Permettez, mon grand bien-aimé, à mes soixante-quatre ans [1] de ne faire qu’un avec vos soixante-huit afin d’arriver ensemble à Dieu sans avance ni retard comme je le désire et je l’espère. Comment ta nuit, bonne n’est-ce pas ? Il le faut pour que la mienne me paraisse meilleure encore. Je crois que nous avons insisté suffisamment pour retenir quelques jours de plus tous les aimables Duvernier [2] ; mais je pense que leur parti de s’en retourner demain est tout à fait pris, ce que je comprends, à cause de leur jeune fille qui doit se trouver bien seule séparée d’eux. Et puis si ta famille vient il est bon que tu aies ce petit change à leur offrir. En attendant, le printemps s’affirme de plus en plus, ce qui va achever de fondre ta vilaine sciatique, et nous permettre de reprendre nos promenades à pied et en voiture tous les jours. « C’est bête comme tout ce que je te dis là » [3] mais je m’en fiche et je t’adore tout bonnement.
BnF, Mss, NAF 16391, f. 102
Transcription de Jean-Christophe Héricher assisté de Florence Naugrette