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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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6 août 1839

6 août [1839], mardi matin, 9 h. ¾

Bonjour mon cher petit Toto, bonjour mon bien-aimé, comment vont tes pauvres yeux mon petit homme ? J’ai compté les rouleaux d’eau de Cologne [1] restant pour toi, il y en [a] encore et 2 que tu as emportésa hier et le mois dernier. Cela ne ferait que cinq mais comme l’eau de Cologne a été achetéeb le 7 janvier, c’est-à-dire il y a sept mois juste, il ne serait pas étonnant que tu en aies pris au moins un depuis de temps-là. Pour l’argent d’hier, c’est 5 francs 13 sous juste que tu m’as donnésc. Ainsi, mon petit homme, tu peux t’en rapporter à moi car j’ai fait ce matin le compte de mon argent par sous, liardsd et deniers. Je suis très contente de l’emplette que tu as faite hier, cette ceinture me paraît très belle. Je ne crains que l’inconvénient du frottement sur la peau ; il est vrai que tu mets un mouchoir entre elle et ton cher petit ventre, ainsi il n’y a pas de danger. Moi je suis ravie également de mes emplettes. Mon bonnet est charmant, et pas cher, mes bas aussi. Il est fâcheux seulement que ça nous dépense tout notre argent et que tu sois forcé d’en gagner si péniblement. Aussi c’est fini, je n’écoute plus rien. Je débuterai aussitôt notre retour à n’importe quel théâtre et à je ne sais quelle condition. Je ne prolongerai pas d’un jour de plus cette vie précaire et nécessiteuse qui te coûte le repos et à moi la tranquillité et le bonheur. J’y suis bien décidée : le mal est déjà bien assez grand comme cela, je veux tâcher qu’il ne devienne pas incurable. Je t’aime, mon Dieu, je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16339, f. 195-196
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « emporté ».
b) « acheté ».
c) « donné ».
d) « liard ».


6 août [1839], mardi soir, 7 h.

Ouf ! Mon cher petit bien-aimé, j’ai joliment travaillé. Tu sais que Joséphine devait venir m’aider à ranger mes armoires un jour de cette semaine ? Elle est donc venue tantôt et aussitôt je me suis mise à la besogne. Nous venons seulement d’en finir une, celle aux étoffes. Il reste celle au linge et ce ne sera pas peu de chose. Je suis couverte de poussière, les mains noires, la gorge enflée, le nez en brindezinguea, les yeux en capilotadeb, le poivre, le camphre et tutti quanti m’éborgnentc, me fontd éternuer, tousser, cracher, MOUCHER, c’est un CATACLYSME, une cataracte, un fleuve, un tremblement de tête qui est aussi hideux que comique. Tu penses que dans cet état-là je n’ai pas eu le courage de commencer la seconde armoire. D’ailleurs, nous n’en aurions pas eu le temps et puis il faut bien que je fasse dîner ma pauvre Joséphine. Sans elle je n’auraise jamais entrepris ce rangement car je ne sais pas plier les robes dans les règles, calembourf, révoltant, à part. Et puis je t’adore et ce que je viens de faire est encore une preuve d’amour. Prends-le ainsi car c’est bien vrai et tâche de venir car j’ai bien besoin de te baiser.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16339, f. 197-198
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « brinzingue ».
b) « capilottade ».
c) « m’éborgne ».
d) « fait ».
e) « aurai ».
f) « calembourg ».

Notes

[1Jean-Marie Farina avait créé en 1806 un flacon en forme de rouleau pour que l’empereur Napoléon Ier puisse aisément transporter son eau de Cologne.

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