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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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24 décembre [1836], samedi matin, 11 h.

Bonjour, cher bien aimé. Tu as encore travaillé cette nuit. J’ai honte vraiment quand j’y pense, ou pour parler plus sincèrement j’ai du chagrin d’être la cause d’une si rude et si laborieuse tâche. Mon Toto chéri, je ne veux plus que tu me donnes rien pour mes étrennes, à moins que cela ne te coûte ni argent ni veille. Ainsi tu me donneras tes beaux livres, avec un mot de ta chère petite main, et je serai trop comblée. Tu peux croire à la sincérité de mes paroles. De même que je te disais : je veux des étrennes, maintenant je te dis : je n’en veux pas de celles qui coûtent de l’argent, parce que l’argent c’est ton repos, c’est ta santé, c’est ta vie, c’est notre bonheur, et il n’y a pas d’étrennes au monde qui vaillent une de ces choses là. Aussi mon cher bien-aimé, je te prie de ne pas m’en donner d’autres que celles que je t’ai indiquées et que j’attends avec impatience.
J’espère que si vous allez à Passy ou autre part vous viendrez me chercher. Ce sera toujours un petit rayon de bonheur que je prendrai à travers les corps épais des académiciens. Je vais donc me lever pour être prête. Mille millions de baisers sur toutes les parties de votre corps, même les plus secrètes.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16328, f. 273-274
Transcription de Claudia Cardona assistée de Florence Naugrette


24 décembre [1836], samedi soir, 4 h.

Mais mon cher homme vous faites donc vos visites sans moi [1], hein ? Vous avez deux fois tort, parce que vous m’auriez fait du bonheur et que je vous aurais tenu très chaud à vos petites pattes, VOUS ÊTES PRESQUE UN ACADEMICIEN.
J’ai là une petite lettre du [Martignon  ?] que je suppose devoir être très menaçante quoique ne l’aie pas lue. Il paraît que les créanciers veulent me donner mes étrennes. Je la leur souhaiterai bonne et heureuse (leur bonne année) et tout le monde sera content.
Il me semble qu’il fait doux aujourd’hui. Depuis ce matin que je suis sans feu, je souffle dans mes doigts. Je voudrais bien pouvoir en faire autant sur mon pauvre nez qui a l’air d’un petit radis rose printanier.
Si vous avez eu le malheur de sortir sans moi, vous verrez ce que je vous ferai, je ne vous dis que cela,
J’ai l’honneur de vous aimer de toute mon âme, et l’avantage de vous désirer de toutes mes forces avec lesquelles je suis, Monsieur Toto, votre très amoureuse Juju [Mergauden [2] ?].

BnF, Mss, NAF 16328, f. 275-276
Transcription de Claudia Cardona assistée de Florence Naugrette


24 décembre [1836], samedi soir, 6 h.

Vous me tourmentez toujours injustement, mon cher bien-aimé, cependant vous devriez commencer à me connaître et à ne pas vous défier de moi à propos de tout, même d’une tasse de café. En vérité la position plus que gênée dans laquelle je suis, la solitude absolue dans laquelle je vis et l’injure de tous les instants qu’il me faut entendre de vous, m’exaspère au point d’aimer mieux vous fuir que de continuer à vivre comme une femme damnée et maudite.
C’est bien votre faute si je me trouve si malheureuse. Personne plus que moi ne saura vous aimer et se dévouer à vous, mais, à l’impossible nul n’est tenu, et il m’est impossible de vivre sous ce joug que vous rendez de plus en plus pesant. Que voulez-vous donc que je fasse, mon bien-aimé, vous fuir ? mais j’ai à peine les ressources suffisantes pour rester à Paris ! Rester à Paris ? mais si vous n’avez pas le courage de vous abstenir de venir chez moi, jamais je ne prendrai celui de ne plus vous voir.
Voyez-vous ? j’ai au cœur une plaie vive grâce aux soins constants que vous prenez de l’entretenir dans cet état. Maintenant la moindre chose m’y cause une douleur insupportable. Je ne sais pas à quelle opération morale je ne me soumettrais pas pour ne plus la sentir.
Vous m’avez vraiment trop fait souffrir depuis trois ans, je vous supplie du fond du cœur d’être avec moi moins offensant ou de me quitter sérieusement. Jugez si je souffre.

Collection particulière
[Guimbaud]

Notes

[1Hugo propose à Juliette de se promener dans Paris avec elle, et de l’attendre lorsqu’il rend ses visites aux académiciens pour sa candidature.

[2La lecture ne semble pas douteuse. On retrouve ce nom (ou surnom) à d’autres reprises à cette époque. À élucider.

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