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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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3 décembre [1836], samedi, midi ½

Bonjour, cher bien-aimé, je n’ai pas fermé l’œil de la nuit, et cela grâce à un incident fort simple en lui-même mais qui pouvait avoir les suites les plus tristes pour moi. Voici ce que c’est : en allant prendre ma veilleuse dans mon cabinet de toilette après que tu as été parti, je me suis aperçuea que tu n’avais pas fermé entièrement la porte du susdit cabinet. De là, grande terreur de ma part sur les conséquences que cela pourrait avoir si tu revenais cette nuit.
Je me suis souvenue de maintes occasions où j’avais été très malheureuse pour des apparences beaucoup moindres que celle-ci. Enfin, jusqu’à l’arrivée de la bonne, 8 h. du m[atin], je n’avais pas fermé l’œil de la nuit, sans aucune exagération. Aussi ce matin suis-je rompue et défaite à faire peur. Une autre fois je m’assurerai toujours, toi étant là, que la porte est exactement fermée. Je ne m’exposerai pas deux fois volontairement aux angoisses de cette nuit.
Je crois sentir que je t’aime encore plus ce matin de toute la peur effroyable de cette nuit. Ce sont des battements de cœur ajoutés à tous les autres qui expriment L’AMOUR. C’est bien vrai, mon Toto adoré, que je t’aime. Chère et noble tête, vous êtes mon idéal ; sublime et généreux homme, tu es ce que j’admire et ce que je vénère le plus en ce monde.
À toi donc mon amour, à toi ma vie, à toi mes pensées, à vous mon amant adoré, mon âme, à vous tout ce qu’il y a d’intelligent et de bon en moi.
Rien qu’à toi mes caresses, mes baisers et mon désirb.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16328, f. 201-202
Transcription de Claudia Cardona assistée de Florence Naugrette

a) « apperçu ».
b) « désire ».


3 décembre [1836], samedi soir, 5 h. ½

Je me suis sentie si mal à mon aise cet après midi, que j’ai fait venir un bain. Je sors de le prendre il y a un quart d’heure.
J’espérais que tu viendrais assez tôt pour m’en sortir. Je me suis trompée, comme toujours. Peut être as-tu eu beaucoup d’affaires mais à coup sûr tu as eu très peu le désir de me voir. Je te fais remarquer cela, non pas que je croie que tu y seras sensible ! Depuis longtemps tu es blasé sur mes pleurs après l’avoir été sur ma joie. Aussi, que je pleure, que je rie, que je souffre ou que [je] sois heureuse, tout cela ne t’émeut guère. Tu crois avoir fait assez en me donnant quelques heures de ton sommeil converties en pièces de cent sous.
Moi je ne pense pas ainsi et je crois que tu me dois autre chose que du dévouement. Malheureusement ce quelque chose ne peut pas s’exiger, et pût-il s’exiger, je n’en voudrais pas à cette condition.
Cependant je ne veux pas te lasser de mes plaintes et de mes larmes. Je serai calme et résignée quand tu viendras, si tu viens. Je n’ai pas oublié le conseil que tu m’as donné sans intention, mais dont je profiterai :
« Belles, les amants qu’on rudoie
S’en vont ailleurs,
On en prend plus avec la joie
Qu’avec les pleurs. » [1]
Je me permets de te donner en pensée et en désir toutes les caresses que j’amasse au fond de mon âme, dans mes yeux et sur mes lèvres.
Que de la peine dans la vie pour quelques moments AFFREUX. C’est de plus en plus vrai.

J.

BnF, Mss, NAF 16328, f. 203-204
Transcription de Claudia Cardona assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Chanson de Phébus dans Esmeralda, opéra de Louise Bertin sur un livret de Victor Hugo, créé le 14 novembre 1836 à l’Opéra.

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