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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 22 août 1860, mercredi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon pauvre bien-aimé, bonjour que Dieu ait pitié de nous. Tu as raison, je suis injuste, méchante et malade, trois vices théologaux dont un seul suffirait du reste pour nous rendre très malheureux tous les deux. Je ne me fais pas illusion sur le sort que je te fais et pourtant Dieu sait que je ne m’épargne pas pour tâcher de te rendre la vie heureuse mais je n’y parviens pas. Ne dis pas le contraire par bonté et par générosité car tu ne peux pas plus que moi être dupe d’une illusion que ma susceptibilité rend de jour en jour plus impossible.
Si j’avais pu prévoir que ta femme désirait aller chez Marquand j’aurais refusé de grand cœur une invitation que je n’avais acceptée que pour ne pas perdre l’occasion d’être avec toi sans te causer le moindre dérangement. Puisque d’habitude tu me consacres un peu plus de ta soirée le lundi. Je ne pouvais pas le deviner mais je t’avoue que j’ai éprouvé un mouvement d’impatience et de tristesse quand tu m’as dit que Mme Hugo était piquée de ce que Marquand ne l’avait pas invitée (sous-entendu à mon exclusion). Cette plainte qui revient pour toutes les personnes et à toutes les très rares invitations qui me sont faites les jours où d’habitude tu dois dîner ou passer la soirée chez moi, témoin l’humeur contre les pauvres Préveraud quand ils nous invitaient une fois par an. Ce reproche m’est sensible chaque fois qu’il revient. C’est un tort, j’en conviens, surtout de te le laisser voir, sans t’en rendre autrement responsable, quoi que tu en dises. Une autre fois je m’appliquerai à te cacher mon impression et je tâcherai de m’effacer et de m’annuler encore plus si c’est possible pour laisser à ta famille la place entière et le monopole de toutes les distractions et de toutes les relations quellesa qu’elles soient. Trop heureuse si j’arrive par ce moyen à éloigner de nous toutes les tristesses et toutes les injustices avec lesquellesb nous blessons notre pauvre amourc qui n’en peut mais. En attendant je t’aime de toute mon âme.

BnF, Mss, NAF 16381, f. 220
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette

a) « quel ».
b) « les quelles ».

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