Guernesey, 11 déc[embre] [18]72, mercredi matin, 8 h. ¼
Que tu es bon, que tu es adorablement bon, mon cher grand bien-aimé, de m’avoir donné tout le temps de te bien voir tout à l’heure ! J’en jouissais d’autant plus, cette fois, que c’était sans remordsa car le temps était sec relativement au déluge qui nous inonde depuis trois mois. Pour ne rien retrancher de mon bonheur ce matin, je veux croire que tu as passé une bonne nuit. J’espère que ma confiance ne se trompe pas. Blanche, que la situation de son frère [1] tourmente, a relu une lettre précédente de sa mère d’où il résulte que le mot choquant qui pouvait donner barre sur lui n’a été dit qu’à M. Meurice à propos du reproche que le citoyen Simon [2] avait fait de lui sur son service de nuit. Il aurait alors répondu à M. Meurice pour se justifier : « Comment peut-il le savoir puisque depuis la fondation du journal il n’est venu qu’une seule fois dans la nuit ? » Je ne sais pas jusqu’à quel point cette accusation reconventionnelle du jeune Lanvin contre le citoyen Simon est fondée, mais ce que je sais c’est que dès le premier jour ledit citoyen s’est opposé à l’entrée de Lanvin au Peuple Souverain [3] et qu’il n’a pas cessé depuis de lui montrer son mauvais vouloir et de lui chercher noise à propos de tout. Le malheur très grand pour ce pauvre jeune homme, c’est qu’il a trois petits enfants et que voilà bientôt un mois qu’il a perdu sa place et très méchamment je le crois, pour des raisons peu avouables du sieur Simon [4]. Il est bien regrettable que d’Alton-Shée et Duverdier accordent peut-être un peu légèrement leur confiance à un homme que Vacquerie et Meurice font plus que suspecter. Je m’étends bien trop longuement sur ce sujet parce que j’ai à cœur la détresse et les angoisses de toute cette excellente famille Lanvin et parce que je sais combien tu t’y intéressesb et puis parce que [je] ne sais pas écrire court, surtout à toi, car dans chaque lettre, dans chaque syllabe, même la plus indifférente et la plus nulle, en apparence, j’y mets mon cœur et mon âme qui t’adorent.
BnF, Mss, NAF 16393, f. 341
Transcription de Bulle Prévost assistée de Florence Naugrette
a) « remord ».
b) « intéresse ».