Guernesey, 8a août 1860, mercredi matin, 7 h. ½
Bonjour, mon cher bien-aimé. Bonjour, mon tout adoré, bonjour, comment as-tu passé la nuit ? Je t’écris paresseusement de mon lit où je reste acoquinée par la pluie et le froid en attendant que mon déjeuner se fasse. Quel temps, mon pauvre adoré ! Heureusement que tu te portes bien et que nous nous aimons. Sans cela il y aurait de quoi jeter la vie aux orties et son âme à tous les diables. Quand je pense que je n’ai pas encore pu me résoudre à METTRE LA MAIN à LA PLUME pour répondre à cette bonne petite Préveraute [1] malgré les belles pommes qu’elle me promet, j’en suis échignée de remords. Mais maintenant il est trop tard pour m’en tirer autrement que par un éternel silence. Je serai sensée n’avoir pas reçu la lettre, voilà tout. Quant à toi quand tu voudras du bon vin tu n’auras qu’un signe à faire à cet honnête et bon docteur Terrier pour en avoir plein ta cave. Ainsi tout est bien et il n’y a rien de changé dans ce monde mais seulement un gribouillis de Juju de moins en circulation, ce qui n’est pas un mal, AU CONTRAIRE. Tout cela ne m’empêche pas d’être bien touchée de ton charmant petit cadeau d’hier [2] dont mon amour n’avait pourtant nul besoin pour rester dans son ASSIETTE. Merci mon trop bon bien-aimé. Merci !
BnF, Mss, NAF 16381, f. 208
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette
a) La date a été corrigée d’une autre main. Juliette avait écrit « 7 ».