Guernesey, 28 août [18]72, mercredi matin, 7 h. ¼
Cher bien-aimé, j’espère que la présence de ton signal [1] signifie que tu as bien dormi toute la nuit et je m’en réjouis dans la mesure d’une demi-certitude en attendant que tu me confirmesa toi-même que je peux me livrer à une joie entière. Je pense, non sans quelque ennui, à l’invasion très prochaine de tous tes invités de Paris. Je suis si patraque, si fatiguée, si maussade et si sauvage que toute cette activité, tout ce plaisir, tout ce dilettantisme, et toute cette civilisation me rouent le corps, le cœur, la pensée et l’âme avant même d’y avoir touché. Encore si tu y trouvais le bonheur pour toi j’en aurais au moins le reflet, ce qui m’empêcherait de m’apercevoir de l’embêtement de toutes ces aimables corvées. Mais rien, rien, rien, c’est trop peu, même quand on n’est pas un Démousseau plus ou moins de Givré. Enfin, allons-y, comme on dit dans le beau monde, et soyons charmants puisque nous ne pouvons pas faire autrement. À ce propos, j’espère que Mme Charles va mieux et qu’elle nous fera sa plus gracieuse risette à la promenade tantôt. Pour ma part j’en serai très contente car je suis encore sous le coup de sa mauvaise humeur d’hier soir. J’ai très peu et très mal dormi et j’ai le cœur tout brouillé ce matin. Je compte sur toi, mon adoré, pour dissiper tout ce malaise avec un sourire et un baiser que tu m’apporteras tantôt et que je te rendrai au centuple.
BnF, Mss, NAF 16393, f. 238
Transcription de Bulle Prévost assistée de Florence Naugrette
a) « confirme ».